VIVE LA RENTRÉE!

Il était là, tranquille, au zinc, les coudes posés de chaque côté de sa bière comme s’il craignait qu’on la lui prenne ou qu’elle s’envole, je sais pas.  On vit une époque formidable, qu’il a dit. Sûr, que j’ai dit, pour lui  tenir compagnie. Ou me tenir compagnie. Ou les deux. Il a donc continué :

«  En tout cas tu pas pas dire qu’on s’emmerde, c’est diversifié. Ça n’arrête pas. Ça fait quoi ? Six mois ? J’ai m’impression des fois que ça fait bien un an. Que c’est comme ça depuis toujours. « Avant », ça me paraît être un très vieux souvenir, tu vois ? Un souvenir que tu serais presque à deux doigts de plus te souvenir, tu vois ? ( Il répète souvent « tu vois ? » dans ses conversations. C’est comme les gens qui  te ponctuent tout à grands coups de « d’accord ? »  ou « si vous voulez ». C’est pénible. Mais bon, lui je le laisse dire, si ça lui fait plaisir… alors oui, je voyais. Tu vois ? Oui je vois. )

« Bon, le putain de virus on n’en parle même pas. On n’en parle plus. On nous en a trop parlé, et pour en dire quoi ? Des conneries, la plupart du temps. C’est à dire tout et son contraire, tu vois ? Tout et n’importe quoi. Si bien qu’au bout du compte, putain, tu n’y comprends plus rien. Moi j’y comprends plus rien…  Une histoire de communication, bien entendu. On communique par quoi ? Par la télé. Et à la télé, depuis le premier jour, sur toutes les chaines, tu les as vus défiler. Les voix tu gouvernement d’abord ( mais pas tant que ça ) et les voix de la science. Les scientifiques, venus t’expliquer ce que c’était que ce virus à la gomme auquel ils ne comprenaient rien. Des discours longs comme le bras pour te dire qu’ils ne savaient pas, qu’il croyaient penser que ça pourrait être ça, ou pas. Ça leur aurait fait des boutons de dire simplement on sait pas ? Il fallait qu’ils expliquent non seulement pourquoi ils ne savaient pas mais ce qu’ils ne savaient pas. Tu vois ?  Et les médecins de défiler. Les spécialistes de la médecine, les toubibs, un pour chaque chaine, chaque émission quasiment. Transformés en vedettes du petit écran. Je te parle même pas de Cymes, avec ou sans Adriana sous le bras : la palme. Tous les autres. Chacun son couplet. Chacune, aussi. Sur CNews, dans la bande à Pascal, on a vu surgir la docteure de service bombardée spécialiste télévisuelle, Brigitte Milhau. Une cata parmi d’autres, à ne pas savoir s’exprimer ni respirer, ni s’exprimer en respirant, ( ben oui c’est un métier ) face caméra, championne du bafouillage et qui ne nous a jamais expliqué quoi que ce soit de plus que trente millions d’autres, mais en prenant son temps, revenant tous les jours sur la plateau de Pascal Praud-qui-sait-tout-et-que-c’est-lui-qui-a-raison-et-qui-prétend-fire-la-meilleure-émission-du-monde-en-dirigeant-sa-troupe-à-coups-de-siflet. Tous les jours.  ( Dans sa troupe, Elisabeth Levy, tiens, en voilà une de championne du « si vous voulez » !  en remplacement des virgules dans sa ponctuation ! Un si vous voulez toutes les quinze secondes, en alternance avec les « est-ce que je peux finir ma phrase ? ») Un régal de quotidien.

« Donc y a ça.

« C’est la rentrée. On est bien content. On tient les sujets de causeries, de polémiques ( Victor ), de discussions, de « je te donne mon avis », de « ne m’interrompez pas » depuis deux mois. Pour encore bien deux mois. Sinon plus. Les masques, par exemple. Oh, les masques… Les porter ou les pas porter. Ici ou là, ou pas ici ou pas là. A priori  ça fait appel au simple bon sens, la simple raison. Eh bien voilà, regarde un peu… Des mois, je te dis. Pis le reste, c’est reparti, c’est la rentrée, que du bonheur : on repart à zéro : Fort Boyard, Koh-lanta, que de la joie, à  zéro c’est le cas de le dire. L’heure des Pros de retour. Nagui, N’oubliez pas les paroles, Un si grand soleil, Michel Drucker, la rentrée des classes, la rentrée littéraire, Amélie Nothomb, la rentrée des sorties. Que tu bonheur, tu vois ? »

« Je vois », j’ai dit.

— J’ai bien envie de me bourrer la gueule, il a dit.

— Tu crois ? j’ai dit.

Il a hoché la tête, il a bu une gorgée, il a pas répondu.