FIN DE SIÈCLE de Sébastien GENDRON

 ( Série Noire / Gallimard )

On avait déjà lu de cet homme ( « on », en l’occurrence moi ) : « Révolution », et « La Revalorisation des Déchets », et « on » s’était, on = toujours moi, régalé, dans les deux cas. On était en passe de lire, du toujours même, ROAD TRIP, en Pocket, bien que l’on trouvât dommage, moi et on, que l’objet livre dans cette collection ne fût pas terrible.

Bref.

Et puis là, roulement de tambour : FIN DE SIÈCLE. De qui ? Où donc ? Retournez voir dans la titraille, mille sabords !

Ce n’est pas tous les jours que nous est donné ( ou vendu ) à lire un roman qui déménage à ce point. Et qui ne se contente pas de déménager bêtement, mais qui le fait avec intelligence, avec virtuosité, avec, comment dire… Comment dire ? Je vous le demande. Si c’était de l’argent ce ne serait pas de la monnaie menue, pas des pièces, du liquide qui vous coule entre les doigts et qu’on oublie aussi sec – pour du liquide !! – avoir serré jamais. Non. Du gros. Du chèque. Du virement. De la trésorerie.

Fin de siècle, oui, c’est bien là que nous sommes.  Comme toutes les fins de siècle,  et je sais de quoi je parle, j’en ai vécu quelques-unes dans ma vie. Pratiquement tous les dix ans. Alors…

Ici, celle qui déboule et cascade dans les pages de ce roman-là,commence par le meurtre, enfin la mort violente pour cause de lame crantée, de Perdita Baron. Ça met un certain temps. Les morts violentes ne sont pas nécessairement rapides  — je le sais, j’en ai rencontré quelques-unes dans ma vie. Et là, foutredieu, on s’y croirait, Perdita, c’est comme si c’était nous. Vous et moi. Mais le livre n’est pas le roman de la mort violente de Perdita Baron. D’ailleurs, dés le chapitre two, les requins apparaissent. Des mégalodons ? Gigantesques. Trente mètres de long. Trinta metros. C’est sur une plage portugaise que cette bestiole fait irruption. Les ancêtres préhistoriques du poiscaille dépassaient à peine les quinze mètres – des rigolos. Alors, d’où sortent-ils ?ceux-là ? ces monstres-là ? D’une mutation… de fin de siècle ?  De fin du monde tout court. Vous le saurez en écoutant la suite de notre feuilleton…

Car il s’agit bien d’un feuilleton, de la trajectoire de quelques personnages non seulement hauts en couleurs mais singulièrement hauts en couleurs, éblouissants sans que ça éblouisse, si vous voyez ce que je veux dire. Et nous le voyons, parce que pas éblouis, précisément, parce que la belle écriture est d’une clarté tout ce qui est claire et supportable et nous fait partager avec une aisance coupable ( quoiqu’innocente ) l’aventure. Dans ce vacarme plombé qui déferle sur les chemins imbriqués de cette panique à bord de la terre, nous suivons Armel Kœstler et son vieux mari mâri. Nous suivons les surveillants des herses qui protègent la Méditerranée. Les agents FBIens et autres lancés à la poursuite d’un voleur de tulipes. Nous suivons un astéroïde dégringolant vers une terre que ne protège plus aucune majuscule. Nous suivons Claude Carven, l’inénarrable testeur d’exploits en tous genres ( qui font sa renommée ),embarqué dans le dernier en date : une plongée en chute libre de 88 000 kilomètres –vous avez bien lu. Mur du son dans 10 secondes ! Ces parcours des derniers instants d’une partie du monde, sans majuscule, sont une chose. Un rêve de bonheur pour tous les confinés d’une autre fin, camouflée, la fin, sus un début de siècle ? Nenni. Mais surtout, surtout, tout cela écrit avec un bonheur hors pair, magistral, le plus magistralement possible sans la moindre ostentation, la plume trempés dans l’encrier ras bord de l’humour, avec, vous savez, pratiquement à chaque mot, le petit choc sympathique du bout de la plume becquant le fond de verre de l’encrier. C’est pas toujours qu’on se surprend à rire à haute voix au détour d’une  giclée de mots, pas tous les jours qu’on s’essaie à siffler dans ses doigts, comme l’explique un des personnages, et qu’on fait un bond dans son lit qui fait faire un bond-bis à votre compagne quand on y parvient par surprise.

Chapeau monsieur Gendron la fin de siècle dont vous fûtes témoins nous met l’eau à la bouche et nous nous y coulons avec délice, buvant la tasse goulée après goulée.

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