POING À LA LIGNE

BELLA CIAO – BARU CATALOGUE DÉRAISONNABLE POUR UNE EXPOSITION FANTASMÉE

Bella Ciao Futuropolis

Voilà ce que dit Baru :

Bella Ciao est une tentative de réponse à la question brûlante de notre temps, celle du prix que doit payer un étranger pour cesser de l’être et devenir transparent. L’étranger en question sera italien, parce que c’est ce que je connais le mieux. Mais mon ambition c’est que mes lecteurs n’aient aucun doute sur l’universalité de la question. Pour cela ( continue Baru ), je convoque une forme ultra classique, celle de la saga familiale, contée par un narrateur, Teodoro Martini, [ … ] au début des années 2000, qui va reconstruire son histoire familiale au gré des fluctuations de sa mémoire, au partir des trente ou quarante personnes assises à la table du repas de sa communion, au milieu des années soixante. Le récit se développera comme sa mémoire, tout en discontinuité chronologique et assemblé à la manière d’un collage. Il y sera question d’un massacre à Aigues-Mortes en 1893, de la résistance aux nazis, du retour au pays, de chansons, de Mussolini, de Claudio Villa, des Chaussettes Noires, de Maurice Thorez, des soupes populaires, de la chute des Hauts-Fourneaux… C’est ce que dit Hervé Barulea, alias Baru. Et il le dit fort bien, et il en dit bien davantage. Et voilà donc ce qu’est ce premier tome de Bella Ciao. Et c’est bien autre chose, c’est TOUT autre chose, en même temps que l’histoire de cette trop belle chanson qui était, avant d’être bellement métamorphosée en chant de partisans une chanson des mondines ( Une mondina, ouvrière saisonnière des rizières des plaines padane et vénète de la fin du XIXᵉ et de la première moitié du XXᵉ siècle), les femmes qui travaillaient dans les rizières du Pô avant la guerre. L’histoire de cette famille d’immigrés devenus émigrés, ou le contraire. Personnages ! Personnages vivants, hommes et femmes, humains jusqu’à la corde, magnifiques macaronis tombés dans les bras des gens d’ici, parfois dans les mains, les poings. Et leurs enfants d’enfants aujourd’hui de notre sang partagé, de nos malheurs en fausse liberté. L’album s’ouvre sur ce massacre dont parle Baru : Salines d’Aigues-Mortes – 17 Août 1893. Première case : un cri : Visez les chevaux ! Deuxième case, un cheval tombe. Au lavis, toute cette séquence au lavis, noir et gris, le trait  en chamaille dans un mouvement perpétuel, un grouillement de foule, cent mille individualités, dans ces foules en affrontement, pas besoin de couleur : le sang à la couleur du sang, les visages ont les grimaces de la douleur, et plus loin les seules montagnes ont la vibration brûlante du sel sous le soleil au pays des damnés. On bascule sur l’Histoire, pour quand même savoir où mettre les pieds et ne pas s’esbaudir et trembler pour le simple plaisir… Et l’autre basculée, la couleur revenue avec la mémoire avivée sur ce repas familial d’une communion, qui servira d’album de photos vivantes, de séquences de films, de documents et documentaires sur les suivants, les descendants. Un chemin tordu menant jusqu’en Aragon, en cette guerre honteuse menée par un caudillo multi assassin dont il vaudrait mieux ne pas se souvenir du nom. Finissant ( provisoirement ) par la recette au trait de Baru imself des cappellettes !!! Vous ne savez pas ce que sont les cappellettes ? Pauvres de vous !

Mais ce n’est pas tout.

Ainsi parle Baru, disais-je, à propos de ce premier tome de BELLA CIAO.  Mais ce n’est pas tout. Il en dit bien plus et encore mieux, ici, dans :

BARU

CATALOGUE DÉRAISONNABLE

POUR UNE EXPOSITION FANTASMÉE

( le Pythagore éditions )

Et cela, c’est énorme. 25x33cm par 3cm d’épaisseur. J’ai vérifié. Enorme et fabuleux, magnifique. J’ai vérifié aussi. Les mots manquent, ce qui est quand même un comble, moi qui me targue d’en avoir fait ma raison de vivre. Ou quasiment. Il y a, ans ce coffre au trésor, du texte, beaucoup de texte, et des dessins, des images, beaucoup de dessins et d’images et tout cela en compose le contenu précieux. Des dessins qui courent sur je ne sais combien d’années, toutes. Nés du pinceau et de la plume et du crayon et de l’œil de l’artiste. Et pour beaucoup de texte, pareil. Le mélange nous donne un risotto unique aux saveurs sans pareilles. Voir un entretien de Baru avec Stéphane Godrefroid ( 2019 ). Baru c’est un parleur, aussi. Et là il parle de son travail, de la conception, de ce qui nous amène et nous pousse, prétentieux que nous sommes, à nous lancer dans la narration d’histoires. Raconteurs que nous voilà, avec les outils du bord. Il en parle comme personne. Et perso j’avais rarement lu de texte sur la création de ces putains d’histoires de nous autres, pauvres nous autres, de cette vérité-là. C’est autre chose que les logorrhées de profs de littératures, de professionnels patentés de la profession, de bavards n’ayant pas trouvé d’autre moyen de se rendre intéressant, les prédateurs à la pelle qui trônent en haut de leurs chaires médiatiques ou scolastiques. C’est un entretien avec Marc McKinney, de 2011, également. C’est ( et dieu me damne si je n’en suis pas fier comme un petit banc ! et même davantage ! ) la publication des roughs de Pauvres Z’héros. Cela s’appelle d’ailleurs on ne peut plus justement : Pauvres z’héros, les roughs. Un des deux romans, si je ne m’abuse, adaptés par Baru. L’autre étant « Canicule », de Vautrin – magnifique. Tu refermes l’album, tu as bronzé. Il dit l’adaptation. Le travail solitaire s’il en est, doublement solitaire, de l’adaptateur qu’il est. Et aussi et encore les « Chroniques de la marge, Baru et les routes françaises. Andréas Platthauss ». Et « Les codes et ressources de la bande dessinée – Ann Miller 2007 » Puis : « la Guerre d’Algérie dans Le Chemin de l’Amérique ( Baru, Thévenet, et Ledran) par Mark McKinley  2008 » Puis… mais nous voilà page 312. Un peu sous le choc, ne nous reste plus qu’à recommencer. Tous ces dessins hors normes, ces affiches, ces illustrations… Les Dessins de Baru.  Il ne nous reste plus, dans la foulée, qu’à relire et revoir  tous ses albums précédents, ce sera la même gorgée de bonheur, comme ces boissons fraîches qu’on boit en été cagnard dans les tremblottis d’une ombre amie de bouleau, comme ces boissons chaudes généreusement chocolatées qui vous dégringolent sous la glotte quand les flocons blancs dansent au carreau.

C’est bien gentil de dire Du catalogue déraisonnable, ah oui, ça a l’air bien. Il FAUT le posséder. Il faut l’avoir chez soi. Comme un ami de passage, mais qui reste, avec qui faire occasionnellement la conversation, la reprendre où elle fut abandonnée un temps. Un copain qui vous rend régulièrement visite. Et chanter de conserve Bella Ciao à pleins poumons, ou en sourdine, au dessert.

LE CARAVAGE

Poing à la ligne

Le caravage  Manara

Le 29 septembre 1571, arrive au monde, à Milan, un petit d’Homme à qui sera donné le nom de Michelangelo. Beaucoup d’autres comme lui ce jour-là pousseront leur premier cri de vie et de douleur. Chacun d’entre tous sera ce qu’il sera dans les temps qui suivront, et plus ou moins particulièrement. Cette particularité de Michelangelo portera triomphalement le sens profond de toute sa spécificité, son essentielle unicité glorieusement éclose.

Comme jamais, comme personne au monde avant lui, il sera peintre. Michelangelo Merisi de Caravaggio.  Caravage. Le Caravage.

Un jour d’été 1592, il arrive au barrage du pont Salario à quelques milles de Rome, dans la charrette d’un marchand de légumes. En même temps qu’un char attelé de superbes chevaux et transportant deux superbes créatures  – des « dévergoigneuses »  comme il le dit. Altercation entre les gardes du pont, le conducteur du char, bagarre avec Michelangelo… Tout est en place, d’ores et déjà. La violence, les jolies femmes, le fait qu’il ne faut pas, tout puissant que l’on soit ou que l’on imagine l’être, marcher sur les pieds du jeune peintre. Peintre il le sera toute sa vie, et comment ! Bousculant les courants de la peinture trempée au médium de l’académisme religieux d’alors ( et qui prenait racines aux sombres prémisses des très anciens savoir-faire ), Caravage, sous couvert de ces déguisements, et surtout dans leurs habits du jour et du moment, peint des gens. Des gens de ceux qui l’entourent et au milieu desquels il vit. Parmi lesquels il vit. S’il se soumet parfois à la peinture ecclésiastique ou assimilée, c’est en faisant poser une putain qui donnera son corps et son sourire et sa grâce à la Vierge. Ses modèles sont là. Des enfants de ses compagnons de débauche, les compagnons eux-mêmes, les femmes qui hantent les ruelles sombres des villes qui sont les villes d’un autre monde. Les lieux que la lumière pénètre à reculons, avec prudence, suspicion, circonspection, avant de finalement se laisser apprivoiser à jamais, à toujours, avec une douceur de tendresse acquise pour toujours. Caravage est le peintre de la lumière apaisée, familiarisée, en clairs obscurs définitivement complices.

Dés le début des années 16O0, il est célèbre, travaillant pour des protecteurs éduqués. Hommes de hauts rangs, collectionneurs nantis. Il travaille et il vit. Et sa vie s’articule entre rebonds et glissades qui ne se contentent pas pour leur évolution des sentiers et chemins battus. Les démêlés avec les justices des Etats pontificaux se succèdent, pour l’honneur d’une dame, sans doute, il se bat en duel et tue son adversaire. Il s’enfuit. S’exile. Naples, Malte, la Sicile. Il se bat et il peint. Des chefs d’œuvre.

Un jour d’octobre 1609 une bataille ultime, une de plus, le laisse pour mort. Mais il survit et peint encore. Jusqu’à ce voyage de retour d’exil (1610) sur une felouque où ses compagnons de voyage l’assassinent alors qu’il n’a même pas de quoi payer son voyage. C’est une version de sa mort. Il y en a plusieurs, qui disent le dernier souffle de l’artiste- canaille. On pense à cet autre vaurien que fut François Villon…

C’est cette vie de fulgurances et de douleurs ( au-delà du romantisme qu’on peut toujours lui faire porter ) parfaitement unique et magistrale que raconte Milo Manara. Dans deux albums véhiculant cette narration non seulement par l’écrit mais par l’image aussi. L’image de Manara qui s’applique aux villes gargantuesques de cette Italie morcelée, l’image de Manara qui se fonde aux portraits ( de femmes et combien femmes ! bien entendu ), aux gens  de ce temps. Et c’est très beau. Passionnant.

Le Caravage – La palette et l’épée

La Caravage – La Grâce

 Milo Manara

Glénat

IL Y A, IL Y A…

IL Y A UN CERTAIN TEMPS DÉJÀ, j’écrivis une histoire, l’histoire de Jacky chat le chat. J’en fis un gros tas de mots bout à bout et dans un certain ordre, que je souhaitais agréable. L’histoire en mots devait être mise en images par Dylan ( alias Didiche ), mon fils alors en ce temps-là. Il avait fait quelques croquis préparatoires – comme on dit. Jacky Chat, le nom, c’est de lui. Nous avions déliré un peu, ensemble. Et puis, la vie étant ce qu’elle est — comme on dit —, c’est à dire un rien salope quand elle s’y met, Dylan a pris la route. Une bifurcation néfaste Sans faire exprès, je sais bien, je ne lui en veux pas. C’est la vie, comme on dit.

Alors, j’ai demandé secours à Zoé. Qui a sauté dans son ambulance perso et s’est pointée aussi sec. Avec dans sa mallette tous ses instruments affûtés pour l’opération. Autrement dit son talent. Qu’elle a costaud. Elle a rencontré Jacky Chat, ils se sont rencontrés, se sont plus mutuellement, je crois, et quelque temps plus tard elle est revenue me le présenter. A mon tour je l’ai reconnu. Le souvenir précis en plus, du véritable animal, évoqué sous le trait de cet avatar plus que fidèle.

C’est ainsi.

C’est ainsi qu’au bout du parcours interminable d’un éditeur lambin — qui parut un temps quelque peu improbable —, nous revint Jacky Chat, le chat.

JACKY CHAT, LE CHAT

OHIO

OHIO par Stephen Markley

Traduit de l’anglais ( Etats Unis ) par Charles Recoursé

Terres d’Amérique

Albin Michel

( Et il me vient les paroles de la chanson « Ohio », qu’écrivit Gainsbourg et que chanta Isabelle Adjani. J’suis dans un état proche de l’Ohio, J’ai l’moral à zéro… Paroles dures en costume de tous les jours, mine de rien, mines de tout. Musique du matin lancinant à pas glissés vers le soir inévitable… Cela va tellement bien à cet autre visage dévoilé de l’Ohio. )

OHIO. O-aï-O. C’est un roman, un gros roman, un gros roman foisonnant, dense, lourd, une montagne de roc, hurlupé de partout comme un gouffre en tourbillon. De bruit et de fureur, certainement. Traversé d’apaisements qui ne sont là, peut-être, que pour un élan repris avant le souffle définitivement coupé vers la cavalcade, la charge tous azimuts d’une étrange horde sauvage.

Des personnages. Quelques-uns. Une poignée — qu’on dirait une centaine, tellement ils sont uniques dans leur peau et tout le monde, ou une grande partie du monde, dans leur être. Leur pauvre tête malade de tenter et vouloir exister. Des personnages d’or et de boue, de misère et de fulgurance. Haleurs de leur vie, cahin-caha, leur propre vie, quelquefois celle des autres. Ces personnages-là, et moi, lecteur, invité sous leurs pas dans le sillage d’une vie. Les colonnes vertébrales d’une monstruosité vivante à quatre têtes. Quatre nervures. Quatre, aux presque mêmes racines, poussés dans New Canaan, petite bourgade de l’Ohio. Où ils ont grandi. Camarade d’études à croitre de conserve dans le monde étudiant, l’apprentissage de comment ne pas vivre, le rêve de comment survivre, si rêve il y a dans les fumeuses atmosphères électriques des drogues et des expériences sexuelles hallucinées. L’apprentissage échevelé du métier dit d’adulte américain.

Et par un soir de printemps tombé du ciel par hasard, des retrouvailles, furtives, fortuites, fugaces, désembrouillées d’un écheveau serré de chemins parcourus, ou en cours de parcours.

Les années passées. Un soir de printemps. Un soir de douceur comme il se doit, d’enfer comme il se veut, au bout du compte. Un soir après du temps coulé, des années cascadantes. Un soir déchiré au-dessus de la tombe de pandore et de la résurrection des souvenirs.

Quatre. Bill Ashcraft, ressurgi d’un passé d’activiste révolutionnaire au grand cœur — qui ce soir, fracassé, est occasionnellement livreur d’un énigmatique paquet scotché sur sa poitrine. Stacey Moore, qui va rencontrer la mère de son ex-lointaine-petite amie disparue pour tenter d’en savoir davantage sur cette évaporation dans la nature — et aussi essayer de régler ses comptes avec son frère qui n’a jamais accepté qui elle est… Et puis Dan Eaton, jeune vétéran meurtri en retrouvailles tant (dé)espérées de son amour  vénéneux de jeunesse, mais naufragé sur les ressacs d’Irak, un œil perdu, le cœur à la dérive. Et la quatrième, Tina Ross, elle, martyre ordinaire de ses années post-adolescentes, revenue se venger sans doute de son ex-prince charmant de friperie déjà monstre ordinaire…

Roulés, cahotés dans les ornières du 11 septembre, ils ont poussé tant bien que mal dans les sillons alarmants du populisme cultivé par un président actuel d’une imbécillité pathologique ( élu et porté par quelques millions de fracturés du même acabit), la récession et le fracas désastreux du rêve américain. Ces quatre là, jaillis de la nuit et d’une époque de jeunesse en désordre pour rebondir dans un autre désordre, bien déterminés à toucher, enfin, pour le coup, au but à atteindre.

OHIO est tout à fait ce qui pourrait sans emphase s’appeler un chef-d’œuvre. Il en a le squelette parfait, solide, implacable, et la musculature, la peau, l’apparence externe d’une impitoyable séduction.

Ce genre de roman-palais dans lequel c’est un bonheur d’entrer et de se réfugier, dont on ne veut – ne peut ? – pas sortir trop rapidement. Ecartelé entre le désir gourmand de parvenir à la dernière page et le triste esseulement de n’en avoir plus à tourner, passée la dernière. Dans la colère grognonne que le mot fin provoque.

Il est, dans tout le charriage de livres qui vont, en cette saison cataclysmique et calamiteuse, nous tomber dessus par tombereaux, celui à qui il faut sauver la vie.

Ohio.

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L’EDIKA-LÀ

Anthologie ÉDIKA

( volume 1 – 1979>1984 )

Une chose est sûre, c’est qu’Edika est bien frappé. Et du bon sens, à tous les coups, même si cela parait être dans tous les sens. Cet homme est fou. Qu’il me soit permis de l’en complimenter chaleureusement ici-même et dans ces lignes, qui sont celles du front, bien évidemment, comme vous l’aurez comprite. Edika dessine des histoires ou des fragments d’histoires de cette façon qui est la sienne propre et c’est pour ça qu’on l’aime, voire qu’on ne l’aime pas, mais si on ne l’aime pas on passe son chemin et on va crever ailleurs, sans encombrer notre route, c’est simple, de cette façon disais-je, ou allais-je dire : il jette des traits en vrac sur le papier, des tas de traits en tas, il amoncelle ( de vélo ou de cheval ) puis il balaie d’un maître coup de poignet car c’est un artiste et le résultat est là : ça fait des dessins qui s’acheminent vers une histoire fort amène qui nous fait plaisir à voir et manger. Car boire et manger il y a.  Une histoire parfaitement structurée dans la déstructure la plus sévèrement logique, et au résultat nous partageons bonheureusement sa liberté de penser, comme l’a dit Florent. Et ça fait du bien où ça tombe, ça fait du bien où ça passe. Que je dis.

Edika est un homme à bonheur. La preuve c’est que dans le langage courant on ne dit plus : «  Salut comment tu vas bien ? Je vais bien et toi ? Moi je vais bien aussi. A la bonne heure.  » Mais : « Je vais bien. A l’Edika ». Si c’est pas une preuve, que je soye noyé.

Alors, si vous voulez le bonheur de quelqu’un, et même le vôtre, faites-lui, faîtes-vous, l’édika-là : Anthologie EDIKA 1979>1984, dont tous les textes sont gurgités par Gégé Viry-Babel, une épée, et qui comporte ( l’antho, pas l’épée ) une magnifique préface de l’imprimeur composée d’un cheveu dudit tombé là par inadvertance, c’est malin, mais c’est unique. Nique, nique.

Et pis c’est tout.

PS : Et aâââtttttation ! Le second, ou deuxième, tome arrive. Sans déconner.

PÉPÉ MALIN

( L’intégrale )

Editions fluide Glacial

Dieu quel bel ouvrage, point d’exclamation !

Ah il est malin, Pépé ! ah il est malin, Hugot !

Hugot, c’est le papa de pépé, ce qui peut vous donner une idée de son âge, mais je vous arrête tout de suite : la valeur n’attend pas le nombre des ans. Car si c’était le cas, nous n’aurions pas à nous mettre sous la dent de nos yeux ce magnifique objet de culture, à la fois graphique et socialo-érotico-psycho-philosophique, pour le moins. Car Pépé a vécu des années, un bon paquet, et il a vécu tout au long, bien vécu. Une vie bien remplie. Ça arrive à tout le monde, je pense. Oui mais non. Je vous arrête une fois de plus et tout de suite. Tout le monde ne remplit pas sa vie de cette façon-là, cette manière-là, à la mode Pépé. Ne pas confondre avec la mode P.P., je vous r’arrête tout de suite. La Pépé touch, c’est unique. Personne ne remplit sa vie comme Pépé l’a remplie. Sa vie.

Son truc à lui ça a été de tripoter les filles. C’était gentil, pas invasif, ça ne faisait de mal à personne, même pas aux filles tripotées qui, leur candide naïveté en avant, ne demandaient au fond que cela. Pépé était, fut, sa vie durant un philanthrope du tripotage, un bienfaiteur humaniste, donc de l’humanité. Il tripota à main que veux-tu, depuis toujours. De sa puberté, je suppose, à son lit de grabataire. Hardi petit ! ( ce serait intéressant d’ailleurs qu’il nous pousse le souvenir de ses exploits dans le domaine de jeune homme, je ne dirai pas de garçon pour ne pas avoir d’ennuis avec la censure mal pensante : nous vivons une époque de soumission à tout, à la religion, à la bienséance, à la pudibonderie, mais je m’égare. Du Nord, évidemment.) Pépé est un véritable anarchiste individuel. Ce qui pour lui n’a qu’un sens, ou plutôt plusieurs : les siens propres. De nos jours, « au jour d’aujourd’hui » dirait le pléonasmatique pédant, il agirait dans un gymnase, sur un court de tennis, dans les vestiaires d’une équipe de foot féminin,, sur un plateau de télé ou de cinéma, dans un cabinet d’avocat, dans l’hémicycle de l’assemblée nationale, sur une étape du tour de France féminin, crac ! tout une volée d’envolées crieraient au viol, intenteraient des procès à  la pelle comme à l’appel, et Pépé n’aurait de salut que dans la castration manuelle. Fort heureusement pour lui, comme pour nous, impénitents que nous sommes sous des airs bien nés, ce sont ici des souvenirs. SOUVENIRS ! Prescription il y a.

A longueur de jours, Pépé osa ce que les braves gens n’osent pas.  Il tripota à doigts, paumes, paluches rabattus. Il tripota sous toutes les coutures, qu’Hugot, son maître étalon rapporteur, dessine avec grand talent. Les seins d’Hugot, son admirables, dirais-je volontiers, et on me comprendras – tout comme le lointain Philippe Clay chantant en son temps Les Fesses d’Irma, et qui semblait savoir de quoi il causait, et moi aussi qui en sait quelque chose. Hugot est un superbe dessinateur. Un fou remarquable. Un inventeur et scénariste de grand talent, un homme à la mémoire gravée dans le marbre, il n’en fallait pas moins pour se souvenir de tous les subtils et tortueux tours et détours dont use pépé pour parvenir à ses fins – au minimum une patte de velours glissée dans la culotte, si la dame ne l’a pas retirée. La culotte.  En preuve de ce que j’avance, dans ce beau volume de dessins à offrir en cadeau à Noël*) à vos enfants, cerise sur le gâteau une interview du maestro dirigée par le non moins Viry-Babel ( Gérard ).

*) Je le sais que Noël est passé, mais il y en aura un autre en 2020, non ? Et puis d’abord pourquoi attendre Noël ? Je vous jure…

FIN DE SIÈCLE de Sébastien GENDRON

 ( Série Noire / Gallimard )

On avait déjà lu de cet homme ( « on », en l’occurrence moi ) : « Révolution », et « La Revalorisation des Déchets », et « on » s’était, on = toujours moi, régalé, dans les deux cas. On était en passe de lire, du toujours même, ROAD TRIP, en Pocket, bien que l’on trouvât dommage, moi et on, que l’objet livre dans cette collection ne fût pas terrible.

Bref.

Et puis là, roulement de tambour : FIN DE SIÈCLE. De qui ? Où donc ? Retournez voir dans la titraille, mille sabords !

Ce n’est pas tous les jours que nous est donné ( ou vendu ) à lire un roman qui déménage à ce point. Et qui ne se contente pas de déménager bêtement, mais qui le fait avec intelligence, avec virtuosité, avec, comment dire… Comment dire ? Je vous le demande. Si c’était de l’argent ce ne serait pas de la monnaie menue, pas des pièces, du liquide qui vous coule entre les doigts et qu’on oublie aussi sec – pour du liquide !! – avoir serré jamais. Non. Du gros. Du chèque. Du virement. De la trésorerie.

Fin de siècle, oui, c’est bien là que nous sommes.  Comme toutes les fins de siècle,  et je sais de quoi je parle, j’en ai vécu quelques-unes dans ma vie. Pratiquement tous les dix ans. Alors…

Ici, celle qui déboule et cascade dans les pages de ce roman-là,commence par le meurtre, enfin la mort violente pour cause de lame crantée, de Perdita Baron. Ça met un certain temps. Les morts violentes ne sont pas nécessairement rapides  — je le sais, j’en ai rencontré quelques-unes dans ma vie. Et là, foutredieu, on s’y croirait, Perdita, c’est comme si c’était nous. Vous et moi. Mais le livre n’est pas le roman de la mort violente de Perdita Baron. D’ailleurs, dés le chapitre two, les requins apparaissent. Des mégalodons ? Gigantesques. Trente mètres de long. Trinta metros. C’est sur une plage portugaise que cette bestiole fait irruption. Les ancêtres préhistoriques du poiscaille dépassaient à peine les quinze mètres – des rigolos. Alors, d’où sortent-ils ?ceux-là ? ces monstres-là ? D’une mutation… de fin de siècle ?  De fin du monde tout court. Vous le saurez en écoutant la suite de notre feuilleton…

Car il s’agit bien d’un feuilleton, de la trajectoire de quelques personnages non seulement hauts en couleurs mais singulièrement hauts en couleurs, éblouissants sans que ça éblouisse, si vous voyez ce que je veux dire. Et nous le voyons, parce que pas éblouis, précisément, parce que la belle écriture est d’une clarté tout ce qui est claire et supportable et nous fait partager avec une aisance coupable ( quoiqu’innocente ) l’aventure. Dans ce vacarme plombé qui déferle sur les chemins imbriqués de cette panique à bord de la terre, nous suivons Armel Kœstler et son vieux mari mâri. Nous suivons les surveillants des herses qui protègent la Méditerranée. Les agents FBIens et autres lancés à la poursuite d’un voleur de tulipes. Nous suivons un astéroïde dégringolant vers une terre que ne protège plus aucune majuscule. Nous suivons Claude Carven, l’inénarrable testeur d’exploits en tous genres ( qui font sa renommée ),embarqué dans le dernier en date : une plongée en chute libre de 88 000 kilomètres –vous avez bien lu. Mur du son dans 10 secondes ! Ces parcours des derniers instants d’une partie du monde, sans majuscule, sont une chose. Un rêve de bonheur pour tous les confinés d’une autre fin, camouflée, la fin, sus un début de siècle ? Nenni. Mais surtout, surtout, tout cela écrit avec un bonheur hors pair, magistral, le plus magistralement possible sans la moindre ostentation, la plume trempés dans l’encrier ras bord de l’humour, avec, vous savez, pratiquement à chaque mot, le petit choc sympathique du bout de la plume becquant le fond de verre de l’encrier. C’est pas toujours qu’on se surprend à rire à haute voix au détour d’une  giclée de mots, pas tous les jours qu’on s’essaie à siffler dans ses doigts, comme l’explique un des personnages, et qu’on fait un bond dans son lit qui fait faire un bond-bis à votre compagne quand on y parvient par surprise.

Chapeau monsieur Gendron la fin de siècle dont vous fûtes témoins nous met l’eau à la bouche et nous nous y coulons avec délice, buvant la tasse goulée après goulée.

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