POING À LA LIGNE

BELLA CIAO – BARU CATALOGUE DÉRAISONNABLE POUR UNE EXPOSITION FANTASMÉE

Bella Ciao Futuropolis

Voilà ce que dit Baru :

Bella Ciao est une tentative de réponse à la question brûlante de notre temps, celle du prix que doit payer un étranger pour cesser de l’être et devenir transparent. L’étranger en question sera italien, parce que c’est ce que je connais le mieux. Mais mon ambition c’est que mes lecteurs n’aient aucun doute sur l’universalité de la question. Pour cela ( continue Baru ), je convoque une forme ultra classique, celle de la saga familiale, contée par un narrateur, Teodoro Martini, [ … ] au début des années 2000, qui va reconstruire son histoire familiale au gré des fluctuations de sa mémoire, au partir des trente ou quarante personnes assises à la table du repas de sa communion, au milieu des années soixante. Le récit se développera comme sa mémoire, tout en discontinuité chronologique et assemblé à la manière d’un collage. Il y sera question d’un massacre à Aigues-Mortes en 1893, de la résistance aux nazis, du retour au pays, de chansons, de Mussolini, de Claudio Villa, des Chaussettes Noires, de Maurice Thorez, des soupes populaires, de la chute des Hauts-Fourneaux… C’est ce que dit Hervé Barulea, alias Baru. Et il le dit fort bien, et il en dit bien davantage. Et voilà donc ce qu’est ce premier tome de Bella Ciao. Et c’est bien autre chose, c’est TOUT autre chose, en même temps que l’histoire de cette trop belle chanson qui était, avant d’être bellement métamorphosée en chant de partisans une chanson des mondines ( Une mondina, ouvrière saisonnière des rizières des plaines padane et vénète de la fin du XIXᵉ et de la première moitié du XXᵉ siècle), les femmes qui travaillaient dans les rizières du Pô avant la guerre. L’histoire de cette famille d’immigrés devenus émigrés, ou le contraire. Personnages ! Personnages vivants, hommes et femmes, humains jusqu’à la corde, magnifiques macaronis tombés dans les bras des gens d’ici, parfois dans les mains, les poings. Et leurs enfants d’enfants aujourd’hui de notre sang partagé, de nos malheurs en fausse liberté. L’album s’ouvre sur ce massacre dont parle Baru : Salines d’Aigues-Mortes – 17 Août 1893. Première case : un cri : Visez les chevaux ! Deuxième case, un cheval tombe. Au lavis, toute cette séquence au lavis, noir et gris, le trait  en chamaille dans un mouvement perpétuel, un grouillement de foule, cent mille individualités, dans ces foules en affrontement, pas besoin de couleur : le sang à la couleur du sang, les visages ont les grimaces de la douleur, et plus loin les seules montagnes ont la vibration brûlante du sel sous le soleil au pays des damnés. On bascule sur l’Histoire, pour quand même savoir où mettre les pieds et ne pas s’esbaudir et trembler pour le simple plaisir… Et l’autre basculée, la couleur revenue avec la mémoire avivée sur ce repas familial d’une communion, qui servira d’album de photos vivantes, de séquences de films, de documents et documentaires sur les suivants, les descendants. Un chemin tordu menant jusqu’en Aragon, en cette guerre honteuse menée par un caudillo multi assassin dont il vaudrait mieux ne pas se souvenir du nom. Finissant ( provisoirement ) par la recette au trait de Baru imself des cappellettes !!! Vous ne savez pas ce que sont les cappellettes ? Pauvres de vous !

Mais ce n’est pas tout.

Ainsi parle Baru, disais-je, à propos de ce premier tome de BELLA CIAO.  Mais ce n’est pas tout. Il en dit bien plus et encore mieux, ici, dans :

BARU

CATALOGUE DÉRAISONNABLE

POUR UNE EXPOSITION FANTASMÉE

( le Pythagore éditions )

Et cela, c’est énorme. 25x33cm par 3cm d’épaisseur. J’ai vérifié. Enorme et fabuleux, magnifique. J’ai vérifié aussi. Les mots manquent, ce qui est quand même un comble, moi qui me targue d’en avoir fait ma raison de vivre. Ou quasiment. Il y a, ans ce coffre au trésor, du texte, beaucoup de texte, et des dessins, des images, beaucoup de dessins et d’images et tout cela en compose le contenu précieux. Des dessins qui courent sur je ne sais combien d’années, toutes. Nés du pinceau et de la plume et du crayon et de l’œil de l’artiste. Et pour beaucoup de texte, pareil. Le mélange nous donne un risotto unique aux saveurs sans pareilles. Voir un entretien de Baru avec Stéphane Godrefroid ( 2019 ). Baru c’est un parleur, aussi. Et là il parle de son travail, de la conception, de ce qui nous amène et nous pousse, prétentieux que nous sommes, à nous lancer dans la narration d’histoires. Raconteurs que nous voilà, avec les outils du bord. Il en parle comme personne. Et perso j’avais rarement lu de texte sur la création de ces putains d’histoires de nous autres, pauvres nous autres, de cette vérité-là. C’est autre chose que les logorrhées de profs de littératures, de professionnels patentés de la profession, de bavards n’ayant pas trouvé d’autre moyen de se rendre intéressant, les prédateurs à la pelle qui trônent en haut de leurs chaires médiatiques ou scolastiques. C’est un entretien avec Marc McKinney, de 2011, également. C’est ( et dieu me damne si je n’en suis pas fier comme un petit banc ! et même davantage ! ) la publication des roughs de Pauvres Z’héros. Cela s’appelle d’ailleurs on ne peut plus justement : Pauvres z’héros, les roughs. Un des deux romans, si je ne m’abuse, adaptés par Baru. L’autre étant « Canicule », de Vautrin – magnifique. Tu refermes l’album, tu as bronzé. Il dit l’adaptation. Le travail solitaire s’il en est, doublement solitaire, de l’adaptateur qu’il est. Et aussi et encore les « Chroniques de la marge, Baru et les routes françaises. Andréas Platthauss ». Et « Les codes et ressources de la bande dessinée – Ann Miller 2007 » Puis : « la Guerre d’Algérie dans Le Chemin de l’Amérique ( Baru, Thévenet, et Ledran) par Mark McKinley  2008 » Puis… mais nous voilà page 312. Un peu sous le choc, ne nous reste plus qu’à recommencer. Tous ces dessins hors normes, ces affiches, ces illustrations… Les Dessins de Baru.  Il ne nous reste plus, dans la foulée, qu’à relire et revoir  tous ses albums précédents, ce sera la même gorgée de bonheur, comme ces boissons fraîches qu’on boit en été cagnard dans les tremblottis d’une ombre amie de bouleau, comme ces boissons chaudes généreusement chocolatées qui vous dégringolent sous la glotte quand les flocons blancs dansent au carreau.

C’est bien gentil de dire Du catalogue déraisonnable, ah oui, ça a l’air bien. Il FAUT le posséder. Il faut l’avoir chez soi. Comme un ami de passage, mais qui reste, avec qui faire occasionnellement la conversation, la reprendre où elle fut abandonnée un temps. Un copain qui vous rend régulièrement visite. Et chanter de conserve Bella Ciao à pleins poumons, ou en sourdine, au dessert.

DIABÈTE VERSUS COVID

Voilà quelques mois que la mode est au Covid.

Qu’elle va de pair avec tout le foin qu’on fait de la vilaine bête – un petit virus tranquille comme des milliers de ses congénères, qui a juste le tort de nous aimer trop et de nous faire, du coup, chier grave.

Pourtant il n’est pas le seul, loin de là, dans le genre ennemi sournois, à nous rendre quelquefois la vie impossible au point de nous pousser à amorter tout net. J’ai nommer le diabète. Du latin diabetes mais du grec aussi : διαβαίνω ( à vos souhaits ! ) signifiant « passer  au travers »  — je ne sais pas ce que le coup de la langue ancienne nous apporte mais ça fait savant et documenté.

Le diabète est une saloperie. Comme un peu toutes les maladies, d’ailleurs, plus ou moins. Ils nous accompagne dans l’Evolution depuis des tonnes de temps : on trouve ses empreintes en archéologie, en paléontologie, si ça se trouve. On ne sait pas trop d’où ça sort, comment ça dort et ce qui le réveille un beau sale matin en l’hôte que nous sommes et qu’il s’est choisi. Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui il est présent partout, plus ou moins actif, et en certains petits endroits du globe quasiment point. Ce qui est sûr aussi c’est que chez nous autres, dans nos contrées civilisées, il est comme qui dirait chez lui. At home. Bien installé. Se nourrissant, comme nous, de cette bouffe infâme qui semble être le quotidien de tous, produit de nos industries alimentaires et économiques.  Nous ne nous alimentons même pas comme des porcs, c’est pire. Et c’est ainsi. Que dés le plus jeune âge on nous apprend à le faire. A ingérer, pour grandir, le poison cristallisé, déguisé, sournois qui nous fait les yeux doux. Et qui sourit pour nous susurrer que nous ne sommes pas sortis de l’auberge.

Oyez :

Par Dr Jean-Charles VAUTHIER
Médecin généraliste – Médecin du sport
Maître de Conférence Associé en Médecine Générale

Bizarre cette métaphore guerrière. Elle ne me plaît pas. Je n’ai jamais connu la guerre, et il me semble que les conditions de vie y sont bien plus dures que ce que l’on vit ici.

Pourtant la guerre est partout en médecine.  « La guerre est déclarée » affirme le film de Valérie Donzelli. « Je vais me battre contre la maladie » entend-t-on souvent. L’annonce diagnostique est une déclaration de guerre, chaque traitement une bataille… Et les effets secondaires des victimes collatérales ? « Le diabète est une lutte quotidienne… »

La première vague de Covid a pu être vécue comme une guerre.

La seconde arrive… Et la métaphore fonctionne encore.

Première guerre mondiale… Une certaine euphorie accompagne les soldats qui partent au front, fleur au fusil. Puis cette guerre devient une guerre statique, dans les tranchées. Notre premier confinement a bien été immobile. Confinement rigoureux. «Restez chez vous ». On ne cohabite pas avec l’ennemi.

Et la victoire ouvre vers les années folles. On oublie, on revit, on profite. Nous avons tous eu besoin de cet été « fou ».

La grande dépression qui a suivi est venue avec l’automne. Les signes péjoratifs étaient là sous nos yeux, telle la montée du fascisme chez nos voisins dans l’entre-deux-guerres. Mais l’optimisme est de rigueur. Nos scientifiques, telle la Société Des Nations, trouveront bien de quoi maintenir un équilibre. Le « plus jamais ça » reste la règle. On ne reconfinera pas…

On teste, on trace, on isole. Que peut-il nous arriver ? Et puis au milieu des signes péjoratifs se nichent des signes d’espoir, auxquels on s’attache : le virus serait moins virulent, les séquelles sembleraient moins lourdes à moyen terme… Foutaises ! Mais si ça nous permet de garder le sourire.

Et voilà, ce que tout le monde savait inévitable sans jamais vouloir se l’avouer arrive : reconfinement.

La deuxième guerre est là. Mais cette fois ce sera une guerre de mouvement. On bouge, on bosse, on va à l’école. Les armes ont changé. De l’historique paracétamol, on a maintenant quelques médicaments pour les formes graves. Et des tests : PCR, antigéniques, sérologies. L’arsenal s’étoffe. Nos vieux uniformes sont remplacés par des gestes barrières perfectionnés. Partout des plexiglas antiatomiques, et des masques qui jonchent le sol, façon mines anti-personnelles. 

Je ne sais pas trop qui désigner comme le Jean Moulin de cette deuxième vague. La résistance est bien visible, la clandestinité n’est pas le modèle de notre époque ! Il y a plus de Don Quichotte que de Lucie Aubrac.

Et les soldats dans tout cela… Ils souffrent. Les hôpitaux enferment les souffrances des soignés et des soignants. Finis les applaudissements. L’armée de conscrits s’est professionnalisée. Les nouveaux soldats ne sont plus des héros. Ils font leur job. Ingratitude heureusement non généralisée. Les messages de soutien persistent, mais plus rares, plus discrets. Peut-être plus touchants alors.

Personnellement, je suis inquiet. Certes, on se sent plus expérimenté, et moins constamment souillé par le virus. Une patiente m’a pourtant raconté son enfer à briquer du sol au plafond sa maison pour passer les heures d’attente entre deux infos sur son mari en réa… Elle a jeté ce matelas où il a tant sué les premières nuits de la maladie. Je l’écoute avec toute l’empathie possible. J’ai de nouveau cette drôle de peur. Ce sentiment que l’on va tous y perdre au moins un proche. Statistiquement ce sera presque ça ! Et pourtant, les thèses complotistes prospèrent. Les débats portent sur des sujets annexes. On évite le sujet. Les peuples se divisent. Trump-Biden ou les deux Amériques. Résistants ou collabos… choisis ton camp ! Mais qui est le gentil et qui est le méchant ? Est-ce si simple ?

Les anticonformistes deviennent des idoles, des icônes… Bref, prennent une posture religieuse.  Pas mon truc !

Mais les scientifiques, les « grands chercheurs » deviennent aussi des oligarques. Canguilhem parle de iatrocratie, du pouvoir donné au médecin. Pas mon truc non plus.

La guerre impose de choisir.

L’autre point commun entre cette crise et la guerre, ce sont les morts et les mutilés.

Il n’y a pas de hiérarchie dans la souffrance. On peut être victime sanitaire ou victime économique, on est victime du virus. Faut-il sacrifier une part de notre population pour en sauver une autre… Choix pétainiste ! Après tout, les vieux et les malades sont-ils indispensables (essentiels !) à notre société productiviste ? Tout odieuse qu’elle soit, cette question est posée en creux dans les alternatives proposées au confinement. « Isolons les personnes à risque et foutons la paix aux autres ». Qui est à risque ? Qui est contact de personne à risque ? Comment les identifier : une étoile cousue ?… Aie ! On a déjà nos jolis capteurs qui jouent ce rôle les étés, en débardeur… Et puis qu’en est-il du secret médical ? Tant de stigmates trahissent déjà notre intimité médicale : Perte de cheveux, amaigrissement brutal, embonpoint, petit ventre de la jeune femme.  Mettez-moi tout ça au rebut !

Il me semble naïvement qu’il est plus simple de souhaiter la mise à l’écart des fragiles, quand on n’est pas soi-même fragilisé… Les nantis en bonne santé n’imaginent pas la blessure de la stigmatisation.

Pire encore, Darwin et sa sélection naturelle sont convoqués, l’argument massue. J’entre en rébellion !!! Qu’on me colle le dos au peloton d’exécution, mais les yeux ouverts fixant ces néo-évolutionnistes ! La médecine, c’est la lutte contre cette sélection naturelle, cette lutte qui limite la mortalité infantile, les décès en couche, le fait de mourir de pneumonie ou d’appendicite. La sélection naturelle tuait les diabétiques en 6 mois.  Alors oui, on a limité cette sélection, on a du même coup accepté que ces êtres a-normaux aient des enfants et perpétuent des gênes vicieux… Je m’en réjouis. D’ailleurs cela constitue une hypothèse pour l’augmentation constatée de l’incidence du diabète de type 1… Je m’égare.

Quid du service militaire obligatoire, ce temps consacré à la nation ? Faudra-t-il rendre obligatoire le vaccin ? Que ferons nous des objecteurs de conscience ?

Ce n’est pas à moi de le dire. La question est politique. L’enjeu est-il suffisamment important pour renoncer à la liberté individuelle pour le bien public ? J’ai mon avis de citoyen. La guerre a toujours permis à certains de prospérer alors que la majorité s’appauvrissait. Il faudra rééquilibrer cela après coup. Mais ne reprochons pas aux fabricants de vaccins de fabriquer des vaccins. Interdisons-leur de prospérer dessus, interdisons-leur de faire jouer la loi de l’offre et de la demande qui n’a pas de sens dans ces périls globaux. Organisons la distribution pour éviter que les pays les plus défavorisés soient une fois de plus servis en dernier ! Le système a fonctionné en partie pour la lutte contre le SIDA. Et le bon Banting, lorsqu’il a découvert l’insuline a cédé pour le dollar symbolique le brevet pour que cette molécule miracle puisse rapidement sauver un grand nombre de malades à travers le monde. Big Pharma a trahi la promesse de Banting, logique donc qu’aujourd’hui on ne lui fasse plus confiance… Il faut administrer cette vaccination globale… OMS, mi amor !

Mais nous parlerons de l’après-guerre après la guerre. Actuellement, les pages des avis de décès de nos journaux se remplissent. Autant de familles endeuillées. Nos (télé)consultations se remplissent de patients Covid, pas forcément graves, mais le moindre test positif impacte l’entourage, les familles, les collègues.

On y est, nous avons cette deuxième vague, que certains avaient voulu nier… Méthode Coué. La faute à personne, le virus est plus fort que nous ! L’adversaire nous domine pour le moment. En sport, quand on est dominé, on doit jouer collectif, s’appuyer sur la force de l’équipe, pas sur des individualités. Je n’y connais rien en stratégie militaire, mais ça doit être un peu pareil. J’aimerais tant que la solidarité redevienne une vertu.

En ce 11 novembre, la mémoire de ceux qui ont connu les tranchées a été célébrée dans la quasi-indifférence. Les chevelus de 2020 remplacent les poilus de 1914. La comparaison se fracasse contre la réalité. « Ceux de 14 » riraient de nos jérémiades. Nous traversons une épidémie sérieuse, tueuse, dévastatrice de notre mode de vie.

Nous ne sommes pas en guerre. Prenez soin de vous.

LE CARAVAGE

Poing à la ligne

Le caravage  Manara

Le 29 septembre 1571, arrive au monde, à Milan, un petit d’Homme à qui sera donné le nom de Michelangelo. Beaucoup d’autres comme lui ce jour-là pousseront leur premier cri de vie et de douleur. Chacun d’entre tous sera ce qu’il sera dans les temps qui suivront, et plus ou moins particulièrement. Cette particularité de Michelangelo portera triomphalement le sens profond de toute sa spécificité, son essentielle unicité glorieusement éclose.

Comme jamais, comme personne au monde avant lui, il sera peintre. Michelangelo Merisi de Caravaggio.  Caravage. Le Caravage.

Un jour d’été 1592, il arrive au barrage du pont Salario à quelques milles de Rome, dans la charrette d’un marchand de légumes. En même temps qu’un char attelé de superbes chevaux et transportant deux superbes créatures  – des « dévergoigneuses »  comme il le dit. Altercation entre les gardes du pont, le conducteur du char, bagarre avec Michelangelo… Tout est en place, d’ores et déjà. La violence, les jolies femmes, le fait qu’il ne faut pas, tout puissant que l’on soit ou que l’on imagine l’être, marcher sur les pieds du jeune peintre. Peintre il le sera toute sa vie, et comment ! Bousculant les courants de la peinture trempée au médium de l’académisme religieux d’alors ( et qui prenait racines aux sombres prémisses des très anciens savoir-faire ), Caravage, sous couvert de ces déguisements, et surtout dans leurs habits du jour et du moment, peint des gens. Des gens de ceux qui l’entourent et au milieu desquels il vit. Parmi lesquels il vit. S’il se soumet parfois à la peinture ecclésiastique ou assimilée, c’est en faisant poser une putain qui donnera son corps et son sourire et sa grâce à la Vierge. Ses modèles sont là. Des enfants de ses compagnons de débauche, les compagnons eux-mêmes, les femmes qui hantent les ruelles sombres des villes qui sont les villes d’un autre monde. Les lieux que la lumière pénètre à reculons, avec prudence, suspicion, circonspection, avant de finalement se laisser apprivoiser à jamais, à toujours, avec une douceur de tendresse acquise pour toujours. Caravage est le peintre de la lumière apaisée, familiarisée, en clairs obscurs définitivement complices.

Dés le début des années 16O0, il est célèbre, travaillant pour des protecteurs éduqués. Hommes de hauts rangs, collectionneurs nantis. Il travaille et il vit. Et sa vie s’articule entre rebonds et glissades qui ne se contentent pas pour leur évolution des sentiers et chemins battus. Les démêlés avec les justices des Etats pontificaux se succèdent, pour l’honneur d’une dame, sans doute, il se bat en duel et tue son adversaire. Il s’enfuit. S’exile. Naples, Malte, la Sicile. Il se bat et il peint. Des chefs d’œuvre.

Un jour d’octobre 1609 une bataille ultime, une de plus, le laisse pour mort. Mais il survit et peint encore. Jusqu’à ce voyage de retour d’exil (1610) sur une felouque où ses compagnons de voyage l’assassinent alors qu’il n’a même pas de quoi payer son voyage. C’est une version de sa mort. Il y en a plusieurs, qui disent le dernier souffle de l’artiste- canaille. On pense à cet autre vaurien que fut François Villon…

C’est cette vie de fulgurances et de douleurs ( au-delà du romantisme qu’on peut toujours lui faire porter ) parfaitement unique et magistrale que raconte Milo Manara. Dans deux albums véhiculant cette narration non seulement par l’écrit mais par l’image aussi. L’image de Manara qui s’applique aux villes gargantuesques de cette Italie morcelée, l’image de Manara qui se fonde aux portraits ( de femmes et combien femmes ! bien entendu ), aux gens  de ce temps. Et c’est très beau. Passionnant.

Le Caravage – La palette et l’épée

La Caravage – La Grâce

 Milo Manara

Glénat

MÉCHAMMENT

Faits divers d’automne

Méchamment

On me demande :

Pierre Pelot, que pensez-vous de la situation ?

— Quelle situation, mon brave On?

« On » : la situation générale. Tout ce qui se passe et ne se passe pas, en France et dans the world.

( Je réfléchis. Ce qui est le plus fatiguant dans la vie c’est qu’il faut réfléchir pour tout et même pas fatalement pour soi, pour les autres, les provocateurs, ceux qui vous poussent à réfléchir en vous posant des questions qui leur semblent importantes et demandent instamment réponse. Et me voilà réfléchissant, dans une odeur d’huile chaude et de caoutchouc brûlé… Et puis :  )

— Pourquoi me demandez-vous ça, à moi ? Le demandez-vous à tout le monde ? A chaque personne que vous croisez dans la rue, si toutefois vous avez une rue sous la main  — et les pieds ?

— A chaque personne, non. A quelques-unes, oui. Choisies.  Je fais mon métier.

— Choisies…

— Oui.

— Vous allez demander ça à un menuisier qui baguenaude? Un préposé des postes, un angiologue ?

— Je  suppose que toutes ces personnes passent leur temps à se poser entre elles ce genre de questions ou en tout cas entre celles qui composent leurs entourages réciproques. Voyez-vous ?

— Et vous me considérez de votre entourage ? Vous seriez du mien.

— Bien sûr que vous êtes de mon entourage, Mr. Pelot. Et me voilà du vôtre depuis quelques instants, et je le resterai du coup forcément longtemps, après avoir franchi cette porte.

….

— Je suis certaine que vous auriez pu le dire pareillement.

………

— Ce que je pense de la situation générale… Eh bien allez, battez tambours !   puisque vous estimez que mon avis sur la chose peut avoir quelque importance — mais c’est bien pour vous être agréable.

— De votre bord, comment…

— Stop ! De mon bord ? De quel bord ?  Déjà voilà qui pour moi ne veut rien dire. Je ne suis sûr que de n’être sûr de rien. Davantage écouter que dire, de temps en temps, poussé par la force des choses dans mes retranchements. Je suis de l’autre bord. Du bord d’en face, de l’autre côté de la rivière. Quant à choisir des brûlures, je préfère celles des orties aux épines des roses – c’est comme ça. Sans doute parce que dans mes jardins sauvages il a toujours poussé davantage d’orties que de roses. De quel bord suis-je ? Le bord des sentiers me convient, des chemins, je marche dans les fossés, les caniveaux, dans les feuilles mortes en tas en automne, la neige hors des traces en hivers, je patauge dans les flaques quand il pleut. J’aime bien la pluie, j’aime bien le froid, quand il est convenu de s’en plaindre. On ne peut pas émettre un avis docte à portée d’oreille que je n’aie envie aussi sec d’en dire son contraire, avec la même force de conviction que celle d’en face. Voilà de quel bord je me targue être. D’après ce que j’en sais. D’un bord de brumes et brouillard. J’avance et me dirige au pif, dans la mêlée, sans plan de bataille, sans carte ni chemin tracé à suivre, ni autoroute quelconque à multi-voies, je défriche au fur des pas. Voilà pour le bord.

Je ne suis d’aucun parti – sinon celui d’en rire, disait Pierre Dac. D’en rire jaune bien souvent. D’aucun, partis politiques, partis religieux ( ou encore nommés religions ), tous ces ingrédients multiformes du marasme ambiant et de tout temps. Quand ils m’ont dit qu’il fallait croire, un jour lointain, j’ai vite reniflé l’arnaque, je me suis dépêché de ne ronronner  en rien. C’est à dire en rien de ce qu’on proposait à ma croyance. J’ai trouvé ma pitance sur le bord de ces chemins-là, encore, car je n’échappais pas au besoin humain d’avoir quelque chose en quoi croire, en qui.

Mais je ne me suis pas mis à la table commune. Je n’ai jamais aimé me goinfrer à la cantine de repas industriels préfabriqués. A ce propos toutes les religions proposées au menu, dans leurs beaux emballages sous vide, me sont instinctivement parues allergisantes, sources d’urticaires géants. Les religions sont des outils pour feignants de l’intelligence et de l’esprit. Un jour, il y a longtemps-longtemps, des petits malins tout aussi feignants que leurs copains, mais un peu plus tordus, et tout aussi trembleurs dans leurs braies ou autres « pantalons dépassant la cheville »,  écrivirent des lois qu’ils assurèrent avoir été dictées par dieu, pour le bonheur des moutons, et comme c’était facile à adopter et de véracité parfaitement incontrôlable, banco ! Les petits malins s’étaient bien gardés d’inviter dieu à leur manif, pour éventuellement répondre aux questions en direct. Mais il pouvait le faire ( répondre ) par leur intermédiaire, et c’est tout. Cette bonne blague. Les petits malin tricotèrent de la sorte le panel des religions principales – les têtes d’affiches — christianisme, chef d’orchestre Jésus christ ; islamisme, maître des choristes Allah ( dit le grand ) ; judaïsme, premier de cordée Jéhovah. Avec ça roulez jeunesse. Toutes ces religions en place et en action possèdent des rites et des grimaces destinés à maintenir la forme, tous plus cons ou rigolos les uns que les autres, à mon avis, mais ça passe et ça perdure, ça soude. Ça marche avec un ingrédient indispensable, la foi. Of course. Inexplicable, ça. Si tu demandes à un croyant de te l’expliquer, la foi, il commence par y mettre une majuscule et te répond : c’est inexplicable, c’est croire. Et là-dessus il a tout dit. Il te laisse te démerder avec le mystère, puisque mystère il y a, et te tourne les talons et s’en va près t’avoir assuré une fois de plus que Allah, Christ et Jéhovah sont grands. Un parmi les trois , celui qu’il s’est choisi, et peu plus grand que les autres, quand même.

Je n’ai jamais pu chanter cette chanson. Je n’ai jamais pu avaler cette assertion prétendant à la liberté de culte, au nom de la tolérance. C’est à dire que j’ai avalé, certes, mais de travers. Quand tu vois les désastres en avalanches parmi les hommes aux noms des cultes et de la tolérance et la liberté des cultes… Combien de massacres d’humains inhumains au nom de dieu ? La tolérance ! Acceptons cœur léger Hitler, Staline, Trump, Erdogan, Mao, Kim Jong-un, Bolsonaro et combien d’autres malades, idiots, imbéciles monstrueux fous furieux en costume ! Au nom de la démocratie essentiellement tolérante, courbons le dos et écoutons leur connerie galopante s’exprimer au prétexte que nous les avons nommés à cette tribune — nous, un de plus que les autres comme le veut la majorité…

Je suis né dans un panier de crabes. Il semblerait qu’on ait voulu que j’en sois un aussi. C’est sans doute vrai. Sur le fond. Mais je me sens mal dans cette carapace. Je résiste. J’ai tenté de faire de mon existence une mue permanente. Il y a eu des moments où je pensais y arriver un peu.

Qu’est-ce que vous voulez savoir ? allons, au bout du chemin je me rends compte que je dois être méchant, au fond, pour proférer tout cela, toutes ces injures et ces blasphèmes qui me maintiennent en vie dans la grand comédie. Plus j’avance et plus je suis en colère. C’est normal ?

Le contenu de mon panier de crabes évolue. Je l’ai quitté pendant quelques jours, pour cause d’hospitalisation. C’est la vie. Dans ces cas-là, vous ne pensez plus qu’à vous. Désolé. Je reviens et boum je retombe dedans. L’évolution, dans le panier des crabes, se manifeste par un jeune con islamiste — le pire degré de la connerie — qui décapite un professeur sous prétexte que ce dernier a  voulu parler de caricatures d’un autre connard ancestral sévissant ardemment dans les rangs des gens. Je parle beaucoup de connerie, mais si cela n’en est pas le summum, que je sois damné, archi damné, tandis que celui qui me trucidera par vengeance pourra se les tourner éternellement avec un paquet de jeunes vierges pendues à ses roubignolles — et ça, cette perspective, si ce n’est pas non plus de la Haut Connerie, auréolée par les radiations de la foi…

La connerie est partout. L’envahisseur premier. Le Fléau. La Calamité des calamités. Sa majesté la Connerie en marche depuis des siècles. Une de ses manifestions ultimes brandie par ces islamistes qui nous viennent chier dans les bottes, et « Quoi ! Des cohortes étrangères feraient la loi dans nos foyers ? Quoi ! Des phalanges mercenaires terrasseraient nos fiers guerriers ! Nos mains seraient enchainées. Nos fronts sous le joug se ploieraient ! De vils despotes deviendraient les maîtres de nos destinées ! »…  Couplet 3 de la Marseillaise, oui monsieur. Et alors, « ils viendraient jusque dans vos bras égorger vos fils, vos compagnes » ? Ne serait-ce pas un état de guerre ? Ils nous prennent pour leurs ennemis, seraient-ils seuls à en avoir le droit ? au nom d’Allah ? Ils viennent, ils s’insinuent, et ils commencent à s’installer avec leurs lois sous le bras et le couteau dans les dents, leurs lois du prophète, plus fortes que la loi du pays dans lequel ils posent leur baluchon, et qui ne leur plait pas, disent-ils. Mais alors, puisque ça ne vous sied pas puisque vous n’en voulez pas, puisque ce qu’on enseigne dans les écoles ne vous plait, qu’attendez vous pour foutre le camp ? Barrez-vous, pauvres gens. Retournez dans vos trous. Allez faire vos singeries ailleurs, allez buter d’autres pauvres gens chez vous.

Merde, alors.

Tu lèves le nez et voilà ce que tu vois.

C’est tout ce que je dis.

Que je suis du bord du chemin.

J’invite personne à me rejoindre ou m’accompagner, j’ai passé ma vie à avoir l’impression de ne pas l’avoir été. Ou rarement. J’ai la naïveté de croire que les gens savent ce qu’ils doivent, peuvent, ont à faire. Sans moi.

De quel bord ? De celui des gens fatigués.

Ça vous va ?

Le bord des gens qui n’ont plus envie discuter, parmi les foules de bavards patentés réunis dans les clubs, les assemblées, les partis, tous convaincus d’être du bon bord, dans leur bon droit. Du fossé au bas du talus je regarde le monde grouillant, pullulant, pas très beau, et s’effiloche la fierté et la joie, petit à petit d’en faire partie.

Bien. Elle est contente ? Parfait. Alors c’est bien. Rien à ajouter. Je vous embrasse.

JOUR LE JOUR, LE JOURNAL

Une histoire de cœur

Ceci étant un journal, je raconte donc ma vie, en tous cas des bouts de vie. Ce qui change un peu d’écrire des romans. Quoique ce soit là une autre façon de. En tous les cas, dans les deux, on écrit, on raconte.

J’ai donc vécu il y a peu une grande histoire de cœur. Qui dure en fait depuis longtemps, mais qui est restée silencieuse une grande partie de son parcours. Toutes les histoires de cœur fonctionnent selon ce mode, je ne fais pas là dans l’exception. Les histoires de cœur, pour bien vivre, le font en catimini ( qui est un joli mot ). En douce et sans fracs. Et il arrive que soudainement elles braillent. Elles piquent une crise.  Comme de jalousie. Comme si à force de catiminier ( qui est un joli verbe inventé pour l’occasion et dont je ne suis pas mécontent ) elles éprouvaient tout à coup la nécessité de rappeler qu’elles existent. Question de survie, presque. Sûrement.

Il se trouve que depuis quelques mois, je ne sais plus exactement combien mais pas mal, je ne roulais plus exactement u mieux de mon régime. Fatigue excessive à mon goût, essoufflement pour rien, gêne et pesanteur au niveau du plexus au moindre effort. Tous des trucs qu’on n’aime pas. Il faut dire qu’il y a 20 ans, la veille de l’an 2000, le bonhomme avait fait un infarctus ! VINGT ANS de rab ! Vingt ans ça compte, surtout aux alentours des dix-huit, dix-neuvième, où ça commence à s’alourdir une miette. Trois bouts de branches artérielles bouchées, surtout  la coronaire droite. Stents. Donc, je savais comment ça marchait : l’épuisement qui précède le crash, les symptômes, l’humeur massacrante, la sensation de vivre tout en mode efforts extrêmes. Et là, du coup ( comme le dit à tout bout de champ notre belle jeunesse ), du coup, je le voyais venir. Me souvenant en plus comme si c’était hier comme la remplaçante de mon docteur soignant, en vacances ou en congé, appelée en urgence m’avait pris sous son aile et sauvé la vie.

Je ne voulais pas que ça recommence – et je sentais que ça allait recommencer. A propos de docteur soignant, je n’en avais plus. Le vieux de la vieille qui avait assisté à mon premier trébuchement d’il y a 20 ans était parti à la retraire, abandonnant sa patientèle devant le fait accompli, sans remplaçant à lui fournir. La patientèle, dont j’étais, avait donc dû se fournir à la va comme je te pousse, en extérieur. J’avais trouvé. Une docteure généraliste toute fraiche émoulue, passée sa thèse en susceptibilité, sans doute, car elle ne tarda pas, devenue maman et retrouvant son cabinet, à me signifier par courrier qu’elle refusait désormais de me soigner. Les médecins signataires d’allégeance au serment d’Hippocrate on le droit de faire ça. Et le droit aussi de ne pas dire pourquoi ils agissent ainsi. C’est au verso du serment, écrit en écriture sympathique, le serment d’hypocrite. Je m’en fus donc en quête d’un autre praticien, du même local, qui me laissa entendre qu’il n’était pas sûr de pouvoir me prendre  sous sa protection, vu qu’il ne travaillait que trois jours par semaine et qu’il était je cite hors de question qu’il fasse une minute de plus. Or donc déjà débordé avant même d’avoir passé sa thèse. Une partie de de l’entretien consistait à l’écouter se plaindre de la dureté de ses clients. J’ai senti le gaillard super-motivé. Qui me motiva donc à ne pas demander ses services.

Mais néanmoins un médecin de secours, qui lui n’avait pas rechigné à faire son boulot et bêtement son devoir et m’embarquait avec lui pour mon temps de transit.

Me conseilla de trouver un cardio à consulter sans plus attendre.

Un cardio sans attendre… moins de six mois ? Par bonheur, un ami mien venait de passer dans les mains d’un homme de l’art, et me le conseilla ( un autre médecin ami m‘avait conseillé l’homme ), résultat : rendez-vous pris pour une consultation la semaine suivante.

Cardio très sympa. Examen. Conclusion : intervenir sans attendre. Infarctus – le retour. En marche

Et c’est ainsi que me revoilà à Essey. Là où vingt ans plus tôt on m’avait sauvé la vie. Après test covid et chatouillis nasal. Essey où certains se souviennent de moi et de ce premier passage. Il faut dire que la première fois, n’ayant pas eu le temps de rien préparer, j’étais arrivé dans un état spectaculaire : le fracas m’était tombé dessus alors que je tronçonnais un arbre tombé sur ma ligne électrique ( déjà ! ) :transport direct en ambulance, de l’hôpital de Remiremont à Nancy ( où je l’appris plus tard « on » n’étais pas sûr que j’arriverais entier ! ) et transfert direct de l’ambulance au bloc, couvert encore de copeaux de tronçonnage…

Donc retrouvailles… En avant la musique. Ces toubibs-là sont formidables. Les infirmières idem. Vous voilà entre leurs mains et vous voilà rassurés. Pose d’un nouveau stent, on cause avec le docteur aux manettes. L’ancien stent bouché est débouché, et c’est dessus qu’on pose le nouveau, tenez vous bien, braves gens, un stent actif car, je cite : « On a effectivement depuis les années 2000 des stents actifs qui offrent non seulement un support mécanique à l’artère mais qui ont également à leur surface un polymère, donc du plastique, qui contient un médicament antiprolifératif. Ce polymère libère le médicament durant une période de plusieurs mois. » C’est pas beau ? Donc, eh bien me voilà re-stenté à neuf de ce côté-là. Déjà je sens que ça va mieux. Si je le voulais je pourrais danser.

J’y retourne dans une dizaine de jour. On s’est rendu compte que ma coronaire gauche, dont on ne parlait pas jusqu’alors et qui se tenait apparemment peinarde dans son coin, était bien mal en point. Ainsi donc : rebelote. Après la droite la gauche. Je bouffe à tous les râteliers.

Bonne journée.

IL Y A, IL Y A…

IL Y A UN CERTAIN TEMPS DÉJÀ, j’écrivis une histoire, l’histoire de Jacky chat le chat. J’en fis un gros tas de mots bout à bout et dans un certain ordre, que je souhaitais agréable. L’histoire en mots devait être mise en images par Dylan ( alias Didiche ), mon fils alors en ce temps-là. Il avait fait quelques croquis préparatoires – comme on dit. Jacky Chat, le nom, c’est de lui. Nous avions déliré un peu, ensemble. Et puis, la vie étant ce qu’elle est — comme on dit —, c’est à dire un rien salope quand elle s’y met, Dylan a pris la route. Une bifurcation néfaste Sans faire exprès, je sais bien, je ne lui en veux pas. C’est la vie, comme on dit.

Alors, j’ai demandé secours à Zoé. Qui a sauté dans son ambulance perso et s’est pointée aussi sec. Avec dans sa mallette tous ses instruments affûtés pour l’opération. Autrement dit son talent. Qu’elle a costaud. Elle a rencontré Jacky Chat, ils se sont rencontrés, se sont plus mutuellement, je crois, et quelque temps plus tard elle est revenue me le présenter. A mon tour je l’ai reconnu. Le souvenir précis en plus, du véritable animal, évoqué sous le trait de cet avatar plus que fidèle.

C’est ainsi.

C’est ainsi qu’au bout du parcours interminable d’un éditeur lambin — qui parut un temps quelque peu improbable —, nous revint Jacky Chat, le chat.

JACKY CHAT, LE CHAT

JOUR LE JOUR, LE JOURNAL…

MAIS C’EST PAS VRAI !

MAIS SI !

Ça n’en finit point. En ce moment c’est une avalanche, un effroyable glissement de terrains tous azimuts. Une déclaration de catastrophes pas naturelles. Où que tu regardes alentour, mon vieux, ce n’est qu’un déversement de scélératesses, malveillances et vilenies, abêtissements bêtes et abrutissements brutes, âneries, conneries crasses ( un mot, connerie, qui me vient je trouve un peu souvent sous langue, la plume, le clavier, je trouve. Un mot qui commence à prendre beaucoup trop de place, mais c’est lui, désolé qui me vient à l’esprit, bien trop souvent donc. Et j’en suis le premier désolé ). Par exemple, au hasard et à la pioche :

Le député LREM de Seine-Maritime Damien Adam défendra jeudi 8 octobre à l’Assemblée un amendement proposant de remplacer les animaux traqués lors d’une chasse à courre par des robots.

Remplacer le gibier des chasses à courre par des robots, telle est l’idée du député LREM e Damien Adam. « Cet amendement vise à créer un fonds destiné à assurer la transition de la chasse à courre vers de nouvelles formes de chasses, comme la chasse sur robot gibier », est-il précisé dans l’amendement, présenté dans l’Hémicycle ce jeudi. « Le développement de cette innovation permettrait, au lieu de chasser un vrai animal, de chasser un robot qui reproduirait et la forme et le comportement de l’animal chassé. »

Cette idée « disruptive » sera défendue lors de l’examen de la proposition de loi sur le « bien être animal ». Elle a suscité des réactions mitigées, voire des moqueries chez certains parlementaires, à l’image du député LR Julien Aubert, qui lui a attribué « la palme de l’idée la plus terminator ». « Outre que la chasse n’est pas du laser quest, je frémis à l’idée qu’un lapin électrique ou un cyber-sanglier se perde dans les bois sous la pluie », a-t-il raillé sur Twitter.

D’abord tu te demandes si tu ne rêves pas. Mais non. Si ce n’est pas là le plus bel exemple du niveau de connerie dans lequel on surnage ( pour combien de temps ), alors c’est quoi ? C’est formidable. Mais le pire n’est pas là, en soi, le pire est que des milliers de gens, de braves gens, je suppose, on voté un jour pour ce marcheur pour l’élire à ce poste de soi-disant responsabilité et de pouvoir, s’imaginant qu’il allait les représenter. Parler et être intelligent en leur nom. N’est-ce pas joyeux ?  

Deuxième pioche :

L’arrivée dans le journal Spirou d’une série nouvelle, auteurs : Sfar à la plume, sapin au pinceau. Manquait Spirou au tableau de chasse de Sfar, le roi des bricoleurs. ? C’est donc fait.

Troisième pioche :

Projet d’adaptation au cinoche de Rahan, le Cromagnon ( ou sapiens ? je ne sais plus … )  de la BD.  Par qui ? Par Christophe Gans ? Non. Par Michaël Youn… Oui. Le cinéma, me disait quelqu’un, a-t-il décidé de tuer la BD ? On peut le croire. Où sont les réussites et combien de flops sanglants dans ce qui nous est déversé jusqu’à maintenant… Quelques réussites. Trente mille catastrophes, chacune lamentable. On pourrait dire que ces catastrophes sont des réussites. Même Alain Chabat qui est un grand monsieur que j’admire beaucoup, plein de talent, et qui l’a prouvé maintes fois, a loupé son Marsupilami cinématographique, sans doute parce qu’il l’aimait trop. C’est dire.

Quatrième pioche :

A propos du Marsupilami, justement. Je ne parlerai même pas de « La Bête », de Frank Pé et Zidrou, qui ne sont pas à priori des mauvais garçons, non non non. ( Dupuis – Grand Public )

Cinquième pioche

Trois individus, qui n’en méritent pas même le nom, massacrent deux flics venus faire un contrôle d’identité dans une zone de merde, parmi d’autres nombreuses, en France, douce France, cher pays de mon enfance. Les deux policiers sont en train de ne pas vouloir mourir aussi bêtement, et ils en bavent et ils ne sont sûrs de rien, il leur faut sacrement serrer les dents et chercher n’importe quelle aspérité à laquelle s’accrocher et peut-être qu’il n’y en a pas, que c’est lisse autour d’eux. Et les braconniers d’humains de merde doivent exhiber leur fierté dans l’affaire, certains de s’en tirer sans perdre la plus petite plume, le plus minuscule duvet sur leur cul de chien. Pardon les chiens.

Sixième pioche

Le virus rigolo fait des claquettes, on le regarde danser, certains ne supportent pas le spectacle, on nous dit que ça va passer. Pas de souci. On nous dit que oui. MAIS on nous dit que non.

Septième pioche :

Des rivières gentilles deviennent furieuses et nous emportent.

Huitième pioche :

Le guignol américain : le Grand Imbécile, nous fait le coup du malade pas imaginaire et miraculé miraculeux. Un spectacle qui lui va bien, imbécile à un point grave. Niveau bd, of course, pour revue évangéliste.  Façon retour du super héros en Super Mariole, le geste grave, la tête à claques sous la mèche en fer de lance. Pathétique. Combien de ces ineffables américains vont mordre à son hameçon ?

Neuviè…

Non. Où que vous regardiez la liste se déroule. Au moins, on a de la lecture. Tous les candidats et candidates, souffle court et langue tirée, à la course au Goncourt, peuvent aller se rhabiller. Refermer leurs bouquins. On n’a pas besoin d’eux, vainqueurs ou pas.

JOUR LE JOUR, LE JOURNAL

MA CLAQUE

A la réflexion, je me lève toujours du pied droit. Etonnant, non ? Parce qu’à la réflexion ( une autre ) , la chose faite et la journée passée, j’aurais tendance à me dire que souvent c’était plutôt du gauche. Tu ouvres un œil, tu te ranges les idées à leur place, voilà qui est fait, tout va bien. Un pied, deux pieds. Dans le monde, le monde dans lequel tu es né, où tu as grandi, dans lequel tu persistes.  ( Après un moment on ne dit plus que tu grandis, on dit que tu es un homme, maintenant, mon gamin, et puis que tu es devenu vieux et que ça continue comme ça vaille que vaille et cahin-caha. )

Sauf que c’est faux, en vérité : le monde dans lequel tu remets les pieds à chaque réveil, les deux pieds sur lesquels tu te dresses debout, le gauche, le droit, en bâillant, en te grattant la tête, en te frottant les yeux, en pétant un petit coup pour la mise en train ordinaire, ce monde n’est plus celui dans lequel tu es né, dans lequel tu as grandi, dans lequel tu as vieilli. Cette bonne blague ! Ce monde est un autre, c’est celui de maintenant, de ton présent, il n’y a que cela qui existe au monde, le présent. Pas de passé ni d’avenir, pas d’hier ni de demain : aujourd’hui. A cette heure, cette minute, cette seconde – pour faire court. Le présent. C’est comme ça qu’on vit. Selon la formule qui a fait ses preuves : c’est la vie.

Or donc, c’est ainsi que les hommes vivent. ( Private joke. ) A la première seconde de chaque réveil de chaque matin. A deux pieds dans le monde, et tu peux être de la meilleure bonne humeur qui soit, avec les meilleures intentions, tu peux être un homme de la meilleure bonne volonté qui soit, ça ne loupe pas.

Ça ne loupe pas.

Je ne sais pas vous, mais moi en tout cas, si. Ou plutôt non. Moi, ça ne loupe pas :

Qu’est-ce que c’est que ce monde ? C’est un endroit dans l’espace et un temps où et dans lequel il se passe des choses. Des événements. Un endroit plutôt bien défini. Avec d’autres gens que toi dessus, dedans. Que moi dedans, dessus.  Car je ne suis pas tout seul, à priori, sauf qu’en ce qui me concerne, eh ben si, vous aurez beau faire, je suis tout seul. Comme tout le monde. Comme vous, chacun de vous, vous autres millions-milliards de vous tous encore vivants, et même ceux par millions qui cassent à la seconde leur vapoteuse – la pipe c’est dépassé –  , vous tous et chacun tout seul dans le monde, les gars et les filles, vos mondes à vous qui sont votre monde perso.

A pieds joints dans le monde. Splash . Et vous voilà avec votre bonne humeur en bandoulière, l’air d’un con, parce que dans les secondes qui suivent ça dérape. La meilleure volonté du monde n’y suffit pas. Ça dérape. Ça s’effrite. Ça se lézarde. La tapisserie se décolle.

Des centaines de petits accrocs. Des rapetassages mal foutus, c’est fait que de ça. Pour peu qu’on se décille l’œil, on en voit toutes les coutures, les malfaçons. Tu te dis : foutredieu ( car tu te parles assez rudement ) pourquoi je me suis levé ? Mais mon couillons parce que c’est la vie. Tu préfèrerais quoi ? Rester pagé ( de pageot ) à longueur de jours et de nuits ? Ou bien mourir ? Tu n’as pas d’autre choix, la vie c’est ça : se lever et mettre les deux pieds dans ce monde, le seul disponible, le seul à ta portée, bordel de dieu !

La vie du jour. Que tu peux regarder par la fenêtre, si tu veux. Là non plus tu n’as guère d’autre choix. Et puis, moi, c’est cette fenêtre-là… Vitrage en tube cathodique, écran super plat, carreaux de la croisée en papier journal. C’est comme ça.

Le monde, en fait, ça se résume à pas grand-chose et c’est étrangement un pas grand-chose qui foisonne. Qui déborde. Qui prend toute la place et davantage.

Soit j’ai envie de ma taire, soit j’ai envie de crier. Normal. Normal ?

Parce que voyez-vous, mes amis, mes pas-z-amis aussi, j’en ai comme qui dirait un peu ma claque. Je suis tout seul à en avoir un peu ma claque ? Bien sûr, même si nous sommes nombreux à être seuls dans ce cas. Seul au pluriel.

Dans ce monde qui donne des nouvelles du monde, un journaliste déguisé en Pascal Praud rend compte à sa manière et à son avis, qui est le seul et le bon, des nouvelles du monde, selon son choix, au cours de discussions déguisées en débat. Pascal a toujours raison. Pascal fait la loi comme le veut sa fonction sur son plateau, interrompt la parole de tous et chacune en leur reprochant d’interrompre la parole de toutes et chacun. Ce n’est même plus rigolo. Et voilà que parfois Pascal dont la culture chansonnière de variétés est grande chantonne !!! Faux comme une seringue. Pascal a une bande de camarades qui sont là avec lui pour commenter le monde à leur façon. Ils ont probablement chacun et chacune leurs opinions, leurs visions des choses, probablement car comme ils parlent tous et toutes en même temps on ne comprend rien à ce qu’ils cornent, sinon les « laissez-moi parler, je ne vous ai pas interrompu » ponctuels des empoigneurs de tourner en rond, et les «  si vous voulez « – prononcer : « si’ou’lez » d’une Elisabeth électrique et hurlupée.

J’en ai ma claque d’assister à la classe.

Passe régulièrement par la fenêtre désormais une docteur Brigitte M. ( mais non, pas ce « M »-là ) qui a changé de métier depuis le fond de gouffre du confinement et s’est installée  au pied levé chroniqueuse tv, ce pour quoi elle n’est pas franchement faite à ânonner des infos covidiennes que tout le monde et son contraire nous infligent à longueurs de chaines et de temps, Brigitte, en plus, essoufflée dans le propos comme aux premiers symptômes de l’angine de poitrine.

J’en ai ma claque d’être un malade que le corps médical tient à prudente distance.

Et aussi sur les bancs de la classe l’ineffable Jacques Séguéla.

J’en ai ma claque tout court.

Dans ce monde les foules de commentateurs se bagarrent quotidiennement à propos des méfaits et des bienfaits des masques obligatoires et des mesures préventives ( six mois bientôt d’une prévention en retrait ) dans la guerre livrée contre la méchante grosse bébête pneumopathique. Chacun on avis, chacun sa prédiction, chacun sa solution. Et allez tous vous faire foutre, crient les périphériques indépendants, les hors-la-loi, qui ne veulent pas être en reste de connerie  et se pètent les cordes à brailler leurs solutions radicales pour… pour quoi, au fait ? Voilà qu’on a perdu le fil. Qu’on l’a perdu depuis lurette belle.

J’en ai ma claque de ne plus rien comprendre.

Dans ce monde, par la fenêtre, les pluies torrentielles ravagent des maisons, des routes, des gens, et on regarde les images, on écoute les commentaires, les explications, encore et encore, on nous explique tout, dans ce monde, et on ne peut rien faire d’autre qu’écouter, comme c’est notre rôle de spectateurs du monde.

J’en ai ma claque d’être impuissant.

C’est un monde peuplé de radicaux de tous poils, de jeunes et vieux cons – je ne trouve pas d’autres mots – qui tabassent des jeunes filles sous le prétexte qu’ils ne supportent pas la vue d’un genou,  un monde dans lequel un ministre de la république ( et je me passe de majuscules ) rejoint la horde des roquets-aboyeurs en recommandant aux gamines le port de la tenue républicaine, fort de la certitude que le ridicule ne tue plus, un monde hanté de chasseurs de cerfs et de massacreurs de renards, et de malades mentaux tueurs de chevaux  quand ils ne les mutilent pas, un monde d’intégristes divers lâchés en liberté même pas surveillée. Sous toutes sortes d’étiquettes.

J’en ai ma claque.

Un monde dont un des passagers, à sa place dans sa loge présidentielle, aurait donc ramassé le virus. Jolis scénars possibles.  Soit c’est vrai et il se bagarre et il s’en sort. Et le spectacle continue, des millions de fidèles crient à l’exploit, au miracle. Et banco, quelques millions d’incrédules convertis ou confortés dans leur foi élisent leur gros couillon de chef ! Soit il se bagarre et ne s’en sort pas. Il aura quand même gagné vu que ce sera la faute de l’autre. Soit cette attaque virale est un scénar monté de toutes pièces – ou sont les complotistes ? pour mettre un peu de tricherie dans le débat. Et assurer au surchargé pondéral la victoire, sous les acclamations de son peuple. Et la première dame évidemment, pauvre femme, s’en sort elle aussi, dans l’ombre du grand homme…

D’autres acteurs de sa troupe s’agitent aux quatre coins du monde en toute impunité, les Poutine de là-haut, les Tayip turc de là-bas, les Xi, les Jong-un de très là-bas… les figurants  au garde-à-vous …

Et tout ceci n’est qu’exemples microscopiques.

J’en ai ma claque…

La voix sympathique d’une dame vient de laisser un message sur mon répondeur qui m’invite à la rappeler pour que nous parlions de la bible.

Ça manquait.

A deux pieds dans le monde, par la force des choses, il va bien falloir finir par trouver autre chose, un de ces matins. Fermer la fenêtre.

OHIO

OHIO par Stephen Markley

Traduit de l’anglais ( Etats Unis ) par Charles Recoursé

Terres d’Amérique

Albin Michel

( Et il me vient les paroles de la chanson « Ohio », qu’écrivit Gainsbourg et que chanta Isabelle Adjani. J’suis dans un état proche de l’Ohio, J’ai l’moral à zéro… Paroles dures en costume de tous les jours, mine de rien, mines de tout. Musique du matin lancinant à pas glissés vers le soir inévitable… Cela va tellement bien à cet autre visage dévoilé de l’Ohio. )

OHIO. O-aï-O. C’est un roman, un gros roman, un gros roman foisonnant, dense, lourd, une montagne de roc, hurlupé de partout comme un gouffre en tourbillon. De bruit et de fureur, certainement. Traversé d’apaisements qui ne sont là, peut-être, que pour un élan repris avant le souffle définitivement coupé vers la cavalcade, la charge tous azimuts d’une étrange horde sauvage.

Des personnages. Quelques-uns. Une poignée — qu’on dirait une centaine, tellement ils sont uniques dans leur peau et tout le monde, ou une grande partie du monde, dans leur être. Leur pauvre tête malade de tenter et vouloir exister. Des personnages d’or et de boue, de misère et de fulgurance. Haleurs de leur vie, cahin-caha, leur propre vie, quelquefois celle des autres. Ces personnages-là, et moi, lecteur, invité sous leurs pas dans le sillage d’une vie. Les colonnes vertébrales d’une monstruosité vivante à quatre têtes. Quatre nervures. Quatre, aux presque mêmes racines, poussés dans New Canaan, petite bourgade de l’Ohio. Où ils ont grandi. Camarade d’études à croitre de conserve dans le monde étudiant, l’apprentissage de comment ne pas vivre, le rêve de comment survivre, si rêve il y a dans les fumeuses atmosphères électriques des drogues et des expériences sexuelles hallucinées. L’apprentissage échevelé du métier dit d’adulte américain.

Et par un soir de printemps tombé du ciel par hasard, des retrouvailles, furtives, fortuites, fugaces, désembrouillées d’un écheveau serré de chemins parcourus, ou en cours de parcours.

Les années passées. Un soir de printemps. Un soir de douceur comme il se doit, d’enfer comme il se veut, au bout du compte. Un soir après du temps coulé, des années cascadantes. Un soir déchiré au-dessus de la tombe de pandore et de la résurrection des souvenirs.

Quatre. Bill Ashcraft, ressurgi d’un passé d’activiste révolutionnaire au grand cœur — qui ce soir, fracassé, est occasionnellement livreur d’un énigmatique paquet scotché sur sa poitrine. Stacey Moore, qui va rencontrer la mère de son ex-lointaine-petite amie disparue pour tenter d’en savoir davantage sur cette évaporation dans la nature — et aussi essayer de régler ses comptes avec son frère qui n’a jamais accepté qui elle est… Et puis Dan Eaton, jeune vétéran meurtri en retrouvailles tant (dé)espérées de son amour  vénéneux de jeunesse, mais naufragé sur les ressacs d’Irak, un œil perdu, le cœur à la dérive. Et la quatrième, Tina Ross, elle, martyre ordinaire de ses années post-adolescentes, revenue se venger sans doute de son ex-prince charmant de friperie déjà monstre ordinaire…

Roulés, cahotés dans les ornières du 11 septembre, ils ont poussé tant bien que mal dans les sillons alarmants du populisme cultivé par un président actuel d’une imbécillité pathologique ( élu et porté par quelques millions de fracturés du même acabit), la récession et le fracas désastreux du rêve américain. Ces quatre là, jaillis de la nuit et d’une époque de jeunesse en désordre pour rebondir dans un autre désordre, bien déterminés à toucher, enfin, pour le coup, au but à atteindre.

OHIO est tout à fait ce qui pourrait sans emphase s’appeler un chef-d’œuvre. Il en a le squelette parfait, solide, implacable, et la musculature, la peau, l’apparence externe d’une impitoyable séduction.

Ce genre de roman-palais dans lequel c’est un bonheur d’entrer et de se réfugier, dont on ne veut – ne peut ? – pas sortir trop rapidement. Ecartelé entre le désir gourmand de parvenir à la dernière page et le triste esseulement de n’en avoir plus à tourner, passée la dernière. Dans la colère grognonne que le mot fin provoque.

Il est, dans tout le charriage de livres qui vont, en cette saison cataclysmique et calamiteuse, nous tomber dessus par tombereaux, celui à qui il faut sauver la vie.

Ohio.

pp

INSÉCURITÉ VERSUS ENSAUVAGEMENT

Oh, eh bien c’est pas difficile : on en a marre.

Marre de cet environnement dans lequel on vit, que ce soit en direct, sur le terrain, ou par média interposé, ce monde qui est le notre quand on ne peut pas l’appréhender d’autre façon que par la télé, les journaux, les radios, les bruits qui courent, les calomnieries, les bavardages, le téléphone, les voisins proches et lointain. Ça fait beaucoup. La couche est pleine, la coupe sans cesse remise. Le vieillesse n’est même plus une question d’âge, elle vous arrive à tout âge, même et déjà chez le plus jeune. Bordel de dieu. Et la fatigue aussi, dans cette atmosphère, qui vous tombe sur le coin du museau sans que vous ayez rien fait pour la mériter. Ça ne vous donne même plus la force de blasphémer, de jurer correctement, avec majuscule à dieu et force points d’exclamation. Nada.

Vous les entendez tous. La même voix. Les mêmes querelles à savoir qui aura raison de proférer les meilleures plates ou ébouriffantes âneries sous le meilleur costume de sérieux.

Il en pleut. Nous sommes en plein courants d’air, à force d’enfoncements permanents de portes, tous modèles, ouvertes

Voilà que le Conseil de l’Ordre de la gent médicale va faire un procès à Raoult qui n’aurait pas été gentil, disent-ils, avec eux. Sous prétexte. Affaire d’état. Conseil de l’Ordre constitué depuis ses origines des doctes vieux connards de haut de panier.

Voilà qu’une députée blacke nous fait une crise nerveuse politique sous prétexte d’insulte racisteà son endroit proférée, blackitude oblige par un journal dit d’extrême droite. Tout ceci vrai ou pas, va nous tenir en haleine un paquet de jours et de nuits, la guerre en plateaux de télé sous le commandement d’une armée de Pascaux Prauds ravis de la matière à débats ( lequel premier du nom ne va sans doute pas tarder à inviter à la rescousse son collègue radio-télévisuel Zemmour Eric).

Voilà qu’un procès s’ouvre qui condamnera une poignée d’ordures — dont on se demande tout à coup s’ils doivent ou non comparaitre masqués ( !!!!! ) —  à quelques morigénations ( moyen français ) bien senties. AH AH AH.

Voilà que tout un tas de gens politiques, de tout acabit, du plus petit aux plus hauts dressés,  les ministres à la pelle comme à l’appel, le 1 le 2, les tous numéros, les gens de pouvoirs à tous les étages, s’engueulent et se crêpent pour savoir si oui ou non nous nous ensauvageons, nous nous insécuritionnons. Pour savoir, non, ils le savent. Pour savoir qui a raison de le savoir à sa manière. Les Jean et les Jacques, les Dupont et les Moretti, les Gérard et les Darmanin, etc. C’est bête que les Castaners soient partis. Sommes nous à la merci ? sommes-nous nous mêmes des sauvages en puissance… La question est posée et les réponses pleuvent. On en a pour un  bel orage. Tandis que pendant ce temps le bordel continue de battre sont plein et que ces beaux parleurs sont censés le calmer, l’éteindre, comme c’est censé être leur boulot.

Les temps sont durs. Haaaaa ! Dites-moi où, n’en quel pays, Est Flora la belle Romaine, Archipiades, ne Thaïs, Qui fut sa cousine germaine, Echo, parlant quant bruit on mène Dessus rivière ou sur étang, Qui beauté eut trop plus qu’humaine ? Mais où sont les neiges d’antan ?

Mais où sont les dames du Temps Jadis ? Où, n’en quel pays… Où sont les braves crevards ? Les bels et bons bandits de grands chemins comme de petits sentiers, au moins reconnus tels, et les braves et bels et bons gendarmes et les braves et bels et bons policiers qui leur couraient après, les attrapaient, leur coupait le cou ? Ou pas, mais ça marchait comme ça. On savait où on allait… C’était le bon temps, c’était avant que toutes sortes de petits imbéciles en liberté, sans l’ombre d’une éducation, s’imaginent capables d’être bons vauriens, véritables malfrats respectables de la profession, véritables tontons flingueurs haut la main.  Où sont les dames du temps jadis et l’authentique canaille attitrée ? Où ? Que sont devenus les chemins de traverses qu’il valait mieux ne pas fréquenter sinon à risques et périls ? Que sont devenus les chemins que l’on savait pouvoir emprunter au fil des quatre saisons ? C’est le foutoir, braves gens !  La racaille n’est plus ce qu’elle était, on ne fait plus le moindre effort pour en faire partie, on s’imagine par fénéantise crasse que cela vous est dû. La racaille serait ouverte à tous, foutrement démocratisée, il n’est plus nécessaire de la mériter un moindre chouïa, tous les petits cons de la terre s’en prévalent comme si ça leur était échu par la grâce de dieu. Le bas peuple se roule dans la fange qu’ils transfigurent en une autre forme d’élite, sans l’avoir mérité d’un poil.

Chantons

C’est la li-heu final-heu… La lie. La vraie. La bouse.  Ça se croit sauvage et n’est que feignasse, sous l’étendard d’une arrogance de très très bas étage qui n’est que ce qu’ils ont trouvé pour tenter de se hausser au niveau des hommes.

N’en quel pays…  Ah ! que revienne le temps joli du Moyen-âge, cornegidouille !

Ah ah ah. Et qu’il nous reste, le cul sur notre talus, la force d’en rire une secousse.