MÉCHAMMENT

Faits divers d’automne

Méchamment

On me demande :

Pierre Pelot, que pensez-vous de la situation ?

— Quelle situation, mon brave On?

« On » : la situation générale. Tout ce qui se passe et ne se passe pas, en France et dans the world.

( Je réfléchis. Ce qui est le plus fatiguant dans la vie c’est qu’il faut réfléchir pour tout et même pas fatalement pour soi, pour les autres, les provocateurs, ceux qui vous poussent à réfléchir en vous posant des questions qui leur semblent importantes et demandent instamment réponse. Et me voilà réfléchissant, dans une odeur d’huile chaude et de caoutchouc brûlé… Et puis :  )

— Pourquoi me demandez-vous ça, à moi ? Le demandez-vous à tout le monde ? A chaque personne que vous croisez dans la rue, si toutefois vous avez une rue sous la main  — et les pieds ?

— A chaque personne, non. A quelques-unes, oui. Choisies.  Je fais mon métier.

— Choisies…

— Oui.

— Vous allez demander ça à un menuisier qui baguenaude? Un préposé des postes, un angiologue ?

— Je  suppose que toutes ces personnes passent leur temps à se poser entre elles ce genre de questions ou en tout cas entre celles qui composent leurs entourages réciproques. Voyez-vous ?

— Et vous me considérez de votre entourage ? Vous seriez du mien.

— Bien sûr que vous êtes de mon entourage, Mr. Pelot. Et me voilà du vôtre depuis quelques instants, et je le resterai du coup forcément longtemps, après avoir franchi cette porte.

….

— Je suis certaine que vous auriez pu le dire pareillement.

………

— Ce que je pense de la situation générale… Eh bien allez, battez tambours !   puisque vous estimez que mon avis sur la chose peut avoir quelque importance — mais c’est bien pour vous être agréable.

— De votre bord, comment…

— Stop ! De mon bord ? De quel bord ?  Déjà voilà qui pour moi ne veut rien dire. Je ne suis sûr que de n’être sûr de rien. Davantage écouter que dire, de temps en temps, poussé par la force des choses dans mes retranchements. Je suis de l’autre bord. Du bord d’en face, de l’autre côté de la rivière. Quant à choisir des brûlures, je préfère celles des orties aux épines des roses – c’est comme ça. Sans doute parce que dans mes jardins sauvages il a toujours poussé davantage d’orties que de roses. De quel bord suis-je ? Le bord des sentiers me convient, des chemins, je marche dans les fossés, les caniveaux, dans les feuilles mortes en tas en automne, la neige hors des traces en hivers, je patauge dans les flaques quand il pleut. J’aime bien la pluie, j’aime bien le froid, quand il est convenu de s’en plaindre. On ne peut pas émettre un avis docte à portée d’oreille que je n’aie envie aussi sec d’en dire son contraire, avec la même force de conviction que celle d’en face. Voilà de quel bord je me targue être. D’après ce que j’en sais. D’un bord de brumes et brouillard. J’avance et me dirige au pif, dans la mêlée, sans plan de bataille, sans carte ni chemin tracé à suivre, ni autoroute quelconque à multi-voies, je défriche au fur des pas. Voilà pour le bord.

Je ne suis d’aucun parti – sinon celui d’en rire, disait Pierre Dac. D’en rire jaune bien souvent. D’aucun, partis politiques, partis religieux ( ou encore nommés religions ), tous ces ingrédients multiformes du marasme ambiant et de tout temps. Quand ils m’ont dit qu’il fallait croire, un jour lointain, j’ai vite reniflé l’arnaque, je me suis dépêché de ne ronronner  en rien. C’est à dire en rien de ce qu’on proposait à ma croyance. J’ai trouvé ma pitance sur le bord de ces chemins-là, encore, car je n’échappais pas au besoin humain d’avoir quelque chose en quoi croire, en qui.

Mais je ne me suis pas mis à la table commune. Je n’ai jamais aimé me goinfrer à la cantine de repas industriels préfabriqués. A ce propos toutes les religions proposées au menu, dans leurs beaux emballages sous vide, me sont instinctivement parues allergisantes, sources d’urticaires géants. Les religions sont des outils pour feignants de l’intelligence et de l’esprit. Un jour, il y a longtemps-longtemps, des petits malins tout aussi feignants que leurs copains, mais un peu plus tordus, et tout aussi trembleurs dans leurs braies ou autres « pantalons dépassant la cheville »,  écrivirent des lois qu’ils assurèrent avoir été dictées par dieu, pour le bonheur des moutons, et comme c’était facile à adopter et de véracité parfaitement incontrôlable, banco ! Les petits malins s’étaient bien gardés d’inviter dieu à leur manif, pour éventuellement répondre aux questions en direct. Mais il pouvait le faire ( répondre ) par leur intermédiaire, et c’est tout. Cette bonne blague. Les petits malin tricotèrent de la sorte le panel des religions principales – les têtes d’affiches — christianisme, chef d’orchestre Jésus christ ; islamisme, maître des choristes Allah ( dit le grand ) ; judaïsme, premier de cordée Jéhovah. Avec ça roulez jeunesse. Toutes ces religions en place et en action possèdent des rites et des grimaces destinés à maintenir la forme, tous plus cons ou rigolos les uns que les autres, à mon avis, mais ça passe et ça perdure, ça soude. Ça marche avec un ingrédient indispensable, la foi. Of course. Inexplicable, ça. Si tu demandes à un croyant de te l’expliquer, la foi, il commence par y mettre une majuscule et te répond : c’est inexplicable, c’est croire. Et là-dessus il a tout dit. Il te laisse te démerder avec le mystère, puisque mystère il y a, et te tourne les talons et s’en va près t’avoir assuré une fois de plus que Allah, Christ et Jéhovah sont grands. Un parmi les trois , celui qu’il s’est choisi, et peu plus grand que les autres, quand même.

Je n’ai jamais pu chanter cette chanson. Je n’ai jamais pu avaler cette assertion prétendant à la liberté de culte, au nom de la tolérance. C’est à dire que j’ai avalé, certes, mais de travers. Quand tu vois les désastres en avalanches parmi les hommes aux noms des cultes et de la tolérance et la liberté des cultes… Combien de massacres d’humains inhumains au nom de dieu ? La tolérance ! Acceptons cœur léger Hitler, Staline, Trump, Erdogan, Mao, Kim Jong-un, Bolsonaro et combien d’autres malades, idiots, imbéciles monstrueux fous furieux en costume ! Au nom de la démocratie essentiellement tolérante, courbons le dos et écoutons leur connerie galopante s’exprimer au prétexte que nous les avons nommés à cette tribune — nous, un de plus que les autres comme le veut la majorité…

Je suis né dans un panier de crabes. Il semblerait qu’on ait voulu que j’en sois un aussi. C’est sans doute vrai. Sur le fond. Mais je me sens mal dans cette carapace. Je résiste. J’ai tenté de faire de mon existence une mue permanente. Il y a eu des moments où je pensais y arriver un peu.

Qu’est-ce que vous voulez savoir ? allons, au bout du chemin je me rends compte que je dois être méchant, au fond, pour proférer tout cela, toutes ces injures et ces blasphèmes qui me maintiennent en vie dans la grand comédie. Plus j’avance et plus je suis en colère. C’est normal ?

Le contenu de mon panier de crabes évolue. Je l’ai quitté pendant quelques jours, pour cause d’hospitalisation. C’est la vie. Dans ces cas-là, vous ne pensez plus qu’à vous. Désolé. Je reviens et boum je retombe dedans. L’évolution, dans le panier des crabes, se manifeste par un jeune con islamiste — le pire degré de la connerie — qui décapite un professeur sous prétexte que ce dernier a  voulu parler de caricatures d’un autre connard ancestral sévissant ardemment dans les rangs des gens. Je parle beaucoup de connerie, mais si cela n’en est pas le summum, que je sois damné, archi damné, tandis que celui qui me trucidera par vengeance pourra se les tourner éternellement avec un paquet de jeunes vierges pendues à ses roubignolles — et ça, cette perspective, si ce n’est pas non plus de la Haut Connerie, auréolée par les radiations de la foi…

La connerie est partout. L’envahisseur premier. Le Fléau. La Calamité des calamités. Sa majesté la Connerie en marche depuis des siècles. Une de ses manifestions ultimes brandie par ces islamistes qui nous viennent chier dans les bottes, et « Quoi ! Des cohortes étrangères feraient la loi dans nos foyers ? Quoi ! Des phalanges mercenaires terrasseraient nos fiers guerriers ! Nos mains seraient enchainées. Nos fronts sous le joug se ploieraient ! De vils despotes deviendraient les maîtres de nos destinées ! »…  Couplet 3 de la Marseillaise, oui monsieur. Et alors, « ils viendraient jusque dans vos bras égorger vos fils, vos compagnes » ? Ne serait-ce pas un état de guerre ? Ils nous prennent pour leurs ennemis, seraient-ils seuls à en avoir le droit ? au nom d’Allah ? Ils viennent, ils s’insinuent, et ils commencent à s’installer avec leurs lois sous le bras et le couteau dans les dents, leurs lois du prophète, plus fortes que la loi du pays dans lequel ils posent leur baluchon, et qui ne leur plait pas, disent-ils. Mais alors, puisque ça ne vous sied pas puisque vous n’en voulez pas, puisque ce qu’on enseigne dans les écoles ne vous plait, qu’attendez vous pour foutre le camp ? Barrez-vous, pauvres gens. Retournez dans vos trous. Allez faire vos singeries ailleurs, allez buter d’autres pauvres gens chez vous.

Merde, alors.

Tu lèves le nez et voilà ce que tu vois.

C’est tout ce que je dis.

Que je suis du bord du chemin.

J’invite personne à me rejoindre ou m’accompagner, j’ai passé ma vie à avoir l’impression de ne pas l’avoir été. Ou rarement. J’ai la naïveté de croire que les gens savent ce qu’ils doivent, peuvent, ont à faire. Sans moi.

De quel bord ? De celui des gens fatigués.

Ça vous va ?

Le bord des gens qui n’ont plus envie discuter, parmi les foules de bavards patentés réunis dans les clubs, les assemblées, les partis, tous convaincus d’être du bon bord, dans leur bon droit. Du fossé au bas du talus je regarde le monde grouillant, pullulant, pas très beau, et s’effiloche la fierté et la joie, petit à petit d’en faire partie.

Bien. Elle est contente ? Parfait. Alors c’est bien. Rien à ajouter. Je vous embrasse.